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— « My-soul-bless-my-soul ! » s’écria le professeur au comble de la stupéfaction. De quoi s’agit-il au monde ?…

Je continuai à marcher rapidement, sans répondre un mot. La manière dont le comte avait quitté le théâtre me donnait à penser que son extrême souci d’échapper à Pesca pouvait l’entraîner beaucoup plus loin. En quittant Londres, il m’échappait, à moi aussi. Si je lui laissais seulement un jour de liberté pour agir à sa guise, l’avenir me semblait compromis. Je suspectais aussi cet étranger inconnu, qui avait pris sur nous les devants, et qui me semblait l’avoir suivi à dessein.

Aiguillonné par cette double méfiance, je ne perdis pas grand temps à m’expliquer avec Pesca. Dès que nous fûmes seuls dans sa chambre, je complétai sa confusion et son trouble, en lui exposant mes intentions aussi simplement et d’une manière aussi nette que je l’ai fait dans les pages précédentes.

— Que puis-je à tout ceci, mon bon ami ? criait le professeur, m’implorant à mains jointes : « Deuce-what-the-deuce ! » en quoi puis-je vous servir, Walter, puisque cet homme m’est inconnu ?

— Mais il vous connaît, — il a peur de vous, — il a quitté le théâtre pour vous échapper. Il faut bien qu’il ait ses raisons, Pesca ! Revenez sur votre existence passée, antérieurement à votre arrivée en Angleterre. Vous avez quitté l’Italie, — je le tiens de vous-même, — pour des motifs politiques. Vous ne me les avez jamais fait connaître, et je ne vous questionne pas là-dessus présentement. Tout ce que je vous demande, c’est de consulter vos souvenirs, et de me dire s’ils ne vous suggèrent aucune explication de la terreur qu’un seul regard jeté sur vous paraît avoir causée à cet homme…

Qu’on juge de ma surprise, quand je vis ces mots si parfaitement insignifiants à mes yeux, avoir sur Pesca une influence analogue à celle que sa vue exerçait l’instant d’avant sur le comte. Le visage rosé de mon petit ami pâlit et blêmit tout aussitôt. Tremblant de la tête aux pieds, il s’écarta lentement de moi.