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sements la fin d’un morceau, sans tenir le moindre compte de la ritournelle que l’orchestre avait à faire entendre immédiatement après (un public anglais, en pareille circonstance, donne invariablement cette preuve de bon goût), le comte leur jetait un regard où le reproche se mêlait à la pitié, puis levait une main qui semblait les supplier de garder le silence. Aux finesses du chant, aux phrases les plus délicates de la musique, alors que, elles passaient inaperçues pour le reste des spectateurs, ses mains obèses, ornées de gants de chevreau noir allant à merveille, battaient doucement l’une contre l’autre, et attestaient l’appréciation éclairée d’un homme du métier. En pareil cas, son onctueux murmure d’approbation : « Bravo ! Bra-a-a-a ! » traversait les rangs silencieux, comme le ron-ron d’un chat énorme. Les spectateurs, placés immédiatement à ses côtés, — bons campagnards à faces rubicondes, qui se chauffaient délicieusement au soleil des réunions à la mode, — le voyant et l’écoutant, commençaient à l’accepter pour directeur de leur enthousiasme. Plus d’une salve d’applaudissements, venue ce soir-là du parterre, avait reçu le signal de ses mains gantées de noir qui se rapprochaient par un mouvement si doux et si confortable. La vanité gloutonne du personnage absorbait avec un plaisir évident ce tribut payé à sa supériorité critique. Sa large face se ridait et se moirait d’un ample sourire, à chaque instant répété. Pendant les pauses d’un morceau à l’autre, il jetait autour de lui des regards sereins, parfaitement satisfaits de lui-même et de ses semblables : — Sans doute ! sans doute ! ces barbares Anglais me devront quelques enseignements. Ici, comme ailleurs, comme partout, moi, — Fosco, j’impose mon influence, et je siège au premier rang ! Si jamais physionomie exprima quelque chose, la sienne parlait en ce moment, et je crois traduire exactement son langage.

La toile tomba, le premier acte achevé ; les spectateurs se levèrent pour regarder autour d’eux. C’était le moment que j’avais attendu pour savoir si Pesca connaissait le comte.