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par moi-même à quelle espèce d’homme j’allais avoir affaire. Jusqu’à cette époque, je n’avais pas une seule fois jeté les yeux sur le comte Fosco.

Trois jours après être revenu à Londres avec Laura et Marian, je partis seul pour Forest-Road, Saint-John’s-Wood, entre dix et onze heures du matin. Il faisait fort beau ! — j’avais quelques heures à ma disposition ; — et il me semblait probable que, si je pouvais l’attendre quelque peu, le comte ne manquerait pas une si belle occasion de promenade. Je n’avais pas beaucoup à craindre qu’il me reconnût en plein jour, par cette excellente raison que la seule fois où j’eusse été vu par lui était celle où il m’avait suivi, le soir, jusque chez moi.

Personne ne se montrait aux fenêtres de la maison donnant sur la rue. Je descendis jusqu’à un détour de la route qui longeait un des côtés de l’habitation, et, par-dessus les murailles basses du jardin, je pus y jeter un coup d’œil. Une des croisées du fond, au rez-de-chaussée, était grande ouverte, et un filet en fermait l’issue. Je ne vis personne ; mais j’entendis, à l’intérieur de la pièce, d’abord le gazouillement perçant et le chant de quelques oiseaux, — puis la voix basse et sonore que les récits de Marian m’avaient, en quelque sorte, rendue familière : — Venez sur mon petit doigt, mes gentils petits, mes petits gentils, criait la voix, venez monter à l’échelle ! Une, deux, trois, et en haut ! trois, deux, une, et en bas ! une, deux, trois, « — touit, — touit, — touit, — touit » !… Le comte exerçait ses serins, tout comme jadis au temps de Marian, à Blackwater-Park.

J’attendis quelque peu, et les chants, et le gazouillis prirent fin : — Allons, venez m’embrasser, mes mignons ! dit l’énorme voix de basse… Un battement d’ailes, un joyeux ramage lui répondirent ; — puis, un rire discret et comme onctueux ; — puis un silence d’une ou deux minutes ; et ensuite, j’entendis ouvrir la porte de la maison. Me tournant alors, je revins sur mes pas. La magnifique mélodie de la « Prière, » dans le « Moïse » de Rossini, chantée d’une voix qui rappelait celle de Lablache, s’élevait majestueusement au milieu du silence qui en-