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reux, loin du but auquel, dans des jours plus sombres et sous de plus rudes épreuves, je n’avais jamais cessé de tendre. Laura, sans le vouloir, me détournait ainsi de mon dur sentier ; — elle devait m’y ramener, sans le vouloir.

Parfois, au sein d’un sommeil mystérieux, ses rêves lui rappelaient, de ce passé terrible, à demi effacé de son esprit, certains événements dont, éveillée, sa mémoire ne gardait aucune trace. Une nuit (deux semaines à peine après notre mariage), une nuit que je la contemplais endormie, je vis des larmes s’échapper lentement de ses paupières closes, et ses lèvres murmuraient quelques mots qui m’apprirent qu’elle revenait avec angoisse sur ce voyage fatal de Blackwater-Park. Cet appel dont elle n’avait pas conscience, et qui, dans la majesté du sommeil, avait quelque chose de si touchant et de si sacré, fit circuler en moi je ne sais quelle flamme tout à coup ranimée. Le lendemain était le jour fixé pour notre retour à Londres ; et, ce jour-là, ma résolution me revint dix fois plus forte et mieux arrêtée que jamais.

Tout d’abord, il fallait savoir quelque chose de cet homme. Jusqu’ici, la véritable histoire de sa vie était restée, pour moi, un impénétrable mystère.

Je commençai par épuiser les rares sources de renseignements que j’avais à ma disposition. L’importante relation écrite par Frederick Fairlie (Marian l’avait obtenue, en suivant les instructions que je lui avais données, dans le cours de l’hiver) ne pouvait servir en rien à l’objet spécial en vue duquel je l’étudiais maintenant. Tout en la lisant, je passais en revue, d’après les révélations de mistress Clements, toute la série des mensonges qui avaient amené Anne Catherick à Londres, et, une fois là, l’avaient sacrifiée aux intérêts du complot. En ceci non plus je ne pouvais, d’aucune façon, l’atteindre et le frapper.

Je revins ensuite au Journal que Marian avait tenu à Blackwater-Park. Sur ma requête, elle me lut de nouveau certains passages relatifs à la curiosité que le comte lui avait jadis inspirée, et aux détails bien peu nombreux qu’elle avait pu se procurer sur son compte.