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II


Il était entre neuf et dix heures, lorsque j’arrivai à Fulham et me fis indiquer Gower’s-Walk.

Laura et Marian vinrent toutes deux m’ouvrir la porte. Je ne crois pas qu’avant cette soirée, où de nouveau nous nous trouvions réunis, nous eussions bien su à quel point étaient étroits les liens qui nous rattachaient l’un à l’autre. On eût dit que nous étions séparés depuis des mois, au lieu de l’avoir été durant quelques jours à peine. La physionomie de Marian indiquait la fatigue et l’inquiétude. Il me suffit du premier regard jeté sur elle pour savoir qu’en mon absence, elle avait seule connu tout le péril, et seule subi toutes les anxiétés. La physionomie de Laura, plus sereine au contraire, et son moral raffermi me dirent avec quel soin on lui avait caché le terrible événement de Welmingham et la véritable raison qui nous faisait changer de domicile.

L’agitation qu’avait entraînée cette démarche me parut l’avoir égayée, intéressée. Elle ne parlait que comme d’une bonne pensée de Marian pour me surprendre à mon retour, de ce changement qui, au lieu d’une rue étroite et bruyante, nous plaçait au bord de la rivière, parmi les champs et les arbres. Elle était toute préoccupée de mille projets pour l’avenir : — des dessins qu’elle avait à terminer ; des acheteurs que j’avais dû leur trouver pendant mon voyage ; des économies qu’elle avait faites en mon absence, et qui avaient alourdi sa bourse au point qu’elle me pria, toute fière, de soupeser dans ma main ce frêle tissu chargé de shillings et de « six-pence. » L’amélioration qui s’était manifestée chez elle, en si peu de jours, fut pour moi une surprise à laquelle je n’étais nullement préparé ; et à qui devais-je l’indicible bonheur qu’elle me donna, si ce n’est à notre Marian, à sa courageuse tendresse ?

Quand Laura nous eut quittés, et lorsque nous pûmes