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pressif, la pensée et la plume de l’écrivain. La femme qui, la première, donne à nos vagues conceptions de la beauté, la vie, la clarté, la forme arrêtée qui leur manquaient, comble dans notre nature intellectuelle une lacune que nous y avons ignorée jusqu’au moment où cette femme nous est apparue. Les sympathies qu’elle éveille en nous glissent à des profondeurs où la parole, la pensée même, arrive à peine ; elles dérivent de charmes plus subtils que ceux dont nos sens subissent l’empire et dont les sources bornées du langage humain peuvent donner l’idée. La mystérieuse beauté des femmes n’arrive à cette hauteur, où elle est inexprimable, que lorsqu’elle s’apparente, pour ainsi dire, avec le mystère plus profond encore caché au fond de nos âmes. Alors, et seulement alors, elle franchit les limites de cette région étroite, où le crayon et la plume peuvent, ici-bas, jeter quelques rayons de lumière.

En pensant à elle, songez à la première femme qui a fait battre plus vite dans votre poitrine un cœur jusque-là insensible aux attraits de ses rivales. Que ses yeux bleus, bons et candides, se lèvent sur les vôtres comme ils se levèrent sur les miens, avec cet irrésistible regard que nous nous rappelons si bien, vous et moi. Que sa voix soit pour vous la musique la plus aimée et caresse votre oreille comme elle caressait la mienne. Que son pas furtif, tandis que dans ces pages vous la verrez aller et venir, produise sur vous l’effet de cet autre pas aux mouvements cadencés, dont votre cœur jadis battit la mesure. Acceptez-la comme la création chimérique de votre fantaisie amoureuse ; c’est le meilleur moyen de faire prendre sur vous, par degrés, à votre gracieux fantôme, l’empire que cette femme vivante a sur moi.

Parmi les sensations que produisit en moi ce premier regard jeté sur elle, — sensations connues de tous, qui germent dans le plus grand nombre des cœurs, sont dans la plupart étouffées, et ne revivent, avec leur éclat primitif, que dans un bien petit nombre, — il en fut une qui me jeta dans le trouble et l’inquiétude, une dont je