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n’était pas assez fou pour me rendre le joug trop pesant, et il pouvait raisonnablement compter sur ma discrétion, sinon dans son intérêt, au moins dans le mien. Une de mes plus longues excursions hors de mon domicile, fut le voyage que je fis à Limmeridge pour aller soigner une demi-sœur à moi, qui s’y mourait. Le bruit s’était répandu qu’elle avait fait des économies ; et je trouvais à propos (pour le cas où ma pension serait accidentellement arrêtée) de veiller aux intérêts que je pouvais avoir par là. Au fait et au prendre, néanmoins, mes peines furent perdues, et là où il n’y avait rien, je ne pus me rien faire donner.

Anne était venue avec moi dans le Nord ; j’avais, de temps en temps, au sujet de cette enfant, des caprices, des fantaisies, et, dans ces moments-là, je devenais jalouse de l’influence que mistress Clements exerçait sur elle. Je n’ai jamais goûté mistress Clements. C’était une pauvre femme sans idées, sans énergie, — esclave de naissance, pourrait-on dire, — et de temps en temps, il ne me déplaisait pas de la tourmenter en lui reprenant Anne pour la garder avec moi. Ne sachant trop que faire de ma fille, dans le Cumberland, tandis que je restais au chevet de la malade, je la mis à l’école de Limmeridge. La dame du château, mistress Fairlie (une femme remarquablement laide, laquelle avait trouvé moyen de se faire épouser par un des plus beaux hommes d’Angleterre), m’amusa infiniment par le goût très-vif qu’elle prit pour ma petite fille. Le résultat fut que celle-ci n’apprit rien à l’école, et qu’elle fut câlinée, gâtée à Limmeridge-House. Entre autres fantasques imaginations dont on meubla sa jeune cervelle, se trouva cette sotte manie de se mettre toujours en blanc. Moi qui déteste le blanc, et qui ai toujours, au contraire, aimé les couleurs un peu sombres, je projetai de lui ôter cette fantaisie de la tête, dès que nous serions revenues chez nous.

Chose étrange à dire, ma fille me résista obstinément. Quand il lui arrivait de se coiffer d’une idée, elle était, comme sont en général les pauvres d’esprit, aussi tenace qu’une mule rétive. Nous eûmes de belles disputes ; et