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comme la moire des flots frissonnants. Les sourcils sont un peu plus foncés que les cheveux ; les yeux sont de ce bleu doux et limpide que la turquoise rappelle, que les poètes chantent si souvent, et qu’il est si rare de rencontrer dans la vie de chaque jour. Charmants de couleur, charmants de forme, — grands, tendres, calmes, pensifs, — ces yeux devaient leur plus grande beauté à la sincérité transparente de leur profond regard, et semblaient, à chaque changement d’expression, emprunter quelques rayons aux clartés d’un monde plus pur et meilleur. Dans leur charme tout-puissant, comme dans un flot d’éblouissante lumière s’effaçaient en même temps les beautés secondaires et les légères imperfections des autres traits. À peine s’aperçoit-on que peut-être les contours inférieurs du visage, trop mignons, trop atténués, ne sont pas rigoureusement d’accord avec les lignes de la partie supérieure, que le nez, échappant aux inconvénients de la forme aquiline (si parfaite qu’elle soit, elle donne au visage d’une femme quelque chose de dur et de cruel) s’est un peu trop infléchi dans l’autre sens, et a perdu quelque chose de sa rectitude classique ; que les lèvres enfin, doucement expressives, sont sujettes, quand elles sourient, à une légère contraction nerveuse qui les relève tant soit peu d’un côté. Chez une autre femme, ces défauts seraient faciles à noter. Ici, un lien subtil les rattache à la gracieuse individualité qu’ils caractérisent, et ils semblent indispensables au jeu vivant de tous ses traits, dont l’ensemble est soumis à l’impulsion de ces deux grands yeux mobiles et rayonnants.

Est-ce bien dans mon pauvre portrait, travail patient et caressé de longues heures joyeuses, que je vois vraiment toutes ces choses ? Ah ! combien peu sont, en réalité, dans ce dessin sans éclat et sans poésie ! combien, au contraire, dans la pensée avec laquelle je le contemple. Une jeune fille frêle et blonde, dans un joli ajustement de couleur claire, feuilletant un album sur lequel ses yeux bleus se posent avec une sérénité loyale, — voilà tout ce que le dessin peut dire ; voilà peut-être aussi jusqu’où peuvent pénétrer, dans leur langage cependant plus ex-