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laquelle, depuis peu, elle surveillait les occupations de sa sœur et les miennes. Marian (quand je lui contai ce qui s’était passé), comprit comme moi que Laura désirait ardemment reconquérir une petite importance, et se relever dans sa propre estime aussi bien que dans la nôtre : — à partir de ce jour, nous mîmes tous nos soins à seconder cette ambition nouvelle, qui peut-être nous donnait à espérer, et pour un temps assez proche, un avenir plus heureux. Ses dessins, à mesure qu’elle les terminait ou croyait les avoir terminés, passaient aussitôt dans mes mains ; je les remettais à Marian qui les cachait avec soin, et je prélevais sur mes profits un léger tribut hebdomadaire, qui était offert à Laura comme le prix auquel des étrangers avaient acquis ces dessins sans mérite et sans valeur, que moi seul, en somme, j’achetais. Il nous était quelquefois difficile de garder le sérieux nécessaire à cette innocente fourberie, quand elle nous apportait avec orgueil sa part de la dépense commune, et me demandait gravement lequel avait gagné le plus, d’elle ou de moi, dans le cours de la semaine écoulée. Tous ses dessins, enfouis avec soin, je les ai encore en ma possession ; ils constituent, à mes yeux, un trésor sans prix. — Chers souvenirs que j’aime à faire vivre ; — amis des temps malheureux qui ne sont plus, mon cœur ne les sacrifiera, ne les oubliera jamais !

Serait-il donc vrai que je me soustrais ici aux nécessités de mon labeur ? et n’anticipé-je pas sur les temps plus heureux auxquels ce récit ne m’a pas encore amené ? Oui, sans doute, il en est ainsi, et je l’avoue franchement. Maintenant, revenons sur nos pas ; revenons à ces jours d’anxiétés, de craintes continuelles, où mon courage ne demeurait vivant qu’au prix d’une lutte acharnée, dans cette glaciale immobilité où je demeurais enchaîné. Peut-être ces minutes n’auront-elles pas été perdues, si les amis dont l’œil suit les pages de ce récit ont fait halte et se sont reposés comme moi.

Je saisis la première occasion qui s’offrit de causer en particulier avec Marian, et de lui communiquer le résultat des informations que j’avais prises dans la matinée.