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VIII


Lorsque après mon entrevue avec mistress Clements, je revins à la maison, je fus frappé d’un changement qui s’était manifesté chez Laura.

L’invariable douceur, l’inépuisable patience dont tant de cruelles épreuves n’avaient encore pu venir à bout, semblaient lui avoir manqué soudainement. Insensible à tout ce que Marian essayait pour la calmer et la distraire, elle était assise loin de son dessin qu’elle négligeait et qu’elle avait repoussé loin d’elle, les yeux obstinément baissés, les mains sur ses genoux, et les doigts enlacés les uns dans les autres par un mouvement fébrile. À mon entrée, Marian se leva, me laissant lire sur son visage une inquiétude silencieuse ; elle attendit un instant pour voir si à mon approche Laura lèverait les yeux ; et après avoir murmuré à mon oreille : — Voyez si vous pourrez la tirer de cette torpeur !… elle sortit de la chambre.

Je m’assis dans le fauteuil qu’elle avait laissé vide ; je dénouai doucement les pauvres doigts amaigris et fiévreux ; puis, prenant les deux mains de Laura dans les miennes :

— À quoi pensez-vous ? dites-le-moi, chère enfant ?… faites effort, et dites-le-moi !…

Il y eut en elle une sorte de combat, mais elle finit par me regarder en face :

— Je ne puis me sentir heureuse, dit-elle, je ne puis m’empêcher de songer…

À ces mots, elle s’arrêta, se pencha légèrement en avant, et posa sa tête sur mon épaule avec une sorte de muet désespoir qui m’alla au cœur.

— Tâchez, répétai-je doucement, tâchez de me dire ce qui vous empêche d’être heureuse !

— Je suis si peu utile,… je pèse si fort sur vous deux,