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comme une preuve irréfragable et pratique de son innocence, ne suffisait pas à me convaincre. D’après ma manière de voir, il me semblait plus naturel et plus probable de présumer qu’elle n’avait pas eu, en cette matière, le choix libre dont elle se targuait. Dans cette hypothèse, à qui devait-on le plus probablement attribuer cette influence dominante qui l’aurait retenue à Welmingham ? Sans nul doute, à cette personne dont les secours réguliers lui fournissaient ses seuls moyens d’existence. Elle avait refusé l’assistance de son mari ; elle n’avait pas de quoi vivre ; honnie, dégradée, on ne lui connaissait pas d’amis : de quelle source pouvait-elle tirer les secours indispensables, si ce n’est de celle qu’indiquait la voix publique, — la caisse de sir Percival Glyde ?

Raisonnant d’après ces données, et ne perdant pas de vue le seul fait avéré qui pût me servir de guide, à savoir que mistress Catherick était en possession du secret, j’arrivais facilement à comprendre l’intérêt que sir Percival pouvait avoir à la retenir à Welmingham, la réputation qu’elle s’y était faite devant à coup sûr l’éloigner de toute communication avec ses voisines, et dès lors lui ôter toute occasion de laisser échapper le moindre de ces propos inconsidérés que les femmes se permettent fréquemment dans les effusions bavardes de leur intimité. Mais quel était donc le mystère qu’on cherchait à cacher ? Non pas, certainement, le rôle infamant que sir Percival avait joué dans la disgrâce de mistress Catherick, — puisque précisément tout le voisinage en était instruit : ni le soupçon qu’il pût être le père d’Anne Catherick, — puisque Welmingham était l’endroit où ce soupçon pouvait le moins être écarté. Si donc j’acceptais, aussi facilement et aussi absolument que d’autres l’avaient fait avant moi cette culpabilité apparente ; si je tirais de là les mêmes conclusions superficielles auxquelles M. Catherick et tous ses voisins avaient cru devoir s’en tenir, que devenait, dans tout ce que j’avais entendu, cette suggestion d’un périlleux secret gardé entre sir Percival et mistress Catherick, et resté caché depuis cette lointaine époque jusqu’au moment actuel ?