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lorsque je n’aspire qu’à rester passif et à restreindre, pour l’amour de vous, la vaste portée de mes facultés et de mes combinaisons. Si vous avez de téméraires amis, modérez leur déplorable ardeur. Si M. Hartright revient en Angleterre, n’ayez aucune communication avec lui ! Je marche sur la voie que je me suis faite, et où Percival me suit pas à pas. Le jour où M. Hartright se rencontrerait sur cette route, vous pouvez le regarder comme un homme perdu. »

Pour toute signature, au bas de cette lettre, il n’y avait qu’un F, entouré de paraphes efflorescents et compliqués. Je la jetai sur la table avec tout le mépris qu’elle m’inspirait.

— Il essaie de vous effrayer, dis-je ; signe bien certain que lui-même a peur…

Elle était trop véritablement femme pour traiter la lettre comme je le faisais. L’insolente familiarité du langage qu’on lui parlait, lui ôtait tout empire sur elle-même. D’un côté de la table à l’autre, elle me regardait, les mains crispées sur ses genoux ; et l’ancienne ardeur de son indomptable caractère revint se refléter sur ses joues animées, dans ses yeux étincelants :

— Walter ! me dit-elle, si jamais ces deux hommes sont à votre merci, et si vous êtes obligé d’épargner l’un d’eux, — ah ! par le ciel ! que ce ne soit pas le comte !

— Je conserverai sa lettre, Marian, pour aider à ma mémoire quand le jour sera venu…

Elle me regardait avec intention loger ce papier dans mon portefeuille.

— Quand le jour « sera » venu, répéta-t-elle. Pouvez-vous parler de l’avenir avec cette certitude ! — après ce que vous avez entendu dans le cabinet de M. Kyrle, après ce qui vous est arrivé aujourd’hui ?…

— Ce n’est pas d’aujourd’hui, Marian, que le temps compte pour moi. Je me suis borné aujourd’hui à solliciter un autre homme d’agir en ma faveur et à ma place mais je daterai, dorénavant, à partir de demain.

— Pourquoi demain ?