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jamais quitté, fut le point de départ d’une nouvelle ère d’espérance. Par degrés, et en usant de beaucoup de ménagements, nous lui rendîmes, en quelque sorte, l’aurore du souvenir de nos promenades d’autrefois, et ses pauvres yeux, d’où toute expression semblait bannie par la souffrance, fixèrent sur Marian et sur moi des regards où se lisait une sorte d’intérêt nouveau, un vague besoin de penser, flamme naissante qu’à partir de ce moment nous entretînmes avec un soin religieux. Je lui achetai une petite boîte à couleurs, et un album de tout point semblable à celui que j’avais vu dans ses mains le jour de notre première entrevue. Une fois encore, — une fois encore, ô joie ! — durant ces heures que je pouvais disputer au travail, sous les ternes clartés du jour de Londres, dans une misérable chambre de Londres, je me retrouvai à côté d’elle, guidant ses pinceaux indécis, venant en aide à ses faibles travaux. Jour par jour, je m’appliquai à fortifier ce nouvel intérêt, jusqu’à ce qu’il eût pris une place désormais assurée dans son existence vide et sans emploi ; — jusqu’à ce qu’elle en fût venue à penser à son dessin, à parler de son dessin, à s’y appliquer d’elle-même et sans secours, à retrouver quelques faibles reflets de l’innocent plaisir que mes encouragements lui donnaient naguère, à se réjouir de plus en plus de ses progrès ; sentiments qui appartenaient tous à la vie ancienne dont elle était déchue, au bonheur perdu de ses jours passés.

Nous relevions lentement, par cette naïve industrie, le niveau de son intelligence. Quand il faisait beau, nous l’emmenions avec nous dans un tranquille square de la vieille Cité, tout proche de notre domicile, et où rien ne devait ni la déranger ni l’alarmer. Sur les fonds déposés chez le banquier, nous prélevions, çà et là, quelques livres sterling pour lui procurer à la fois un peu de vin et la nourriture fortifiante en même temps que délicate dont sa santé réclamait impérieusement le secours. Nous l’amusions, le soir, avec des jeux de cartes à la portée des enfants, et avec des collections de dessins que je me procurais sans peine chez le graveur pour lequel je tra-