Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/572

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’en puis venir à bout… Et, fidèle à sa parole, lorsque nous nous retrouvâmes, le soir, lorsqu’elle s’assit pour se reposer, elle avait remporté la victoire. Ses grands yeux noirs, qui exprimaient tant de fermeté, me lançaient encore quelques-uns de leurs éclairs d’autrefois : — Je ne suis pas encore tout à fait par terre, disait-elle ; je suis digne qu’on se fie à moi pour ma part dans l’œuvre commune… Et, avant que je pusse répondre, elle ajouta sur un ton plus bas : — Je suis digne aussi d’avoir ma part dans les risques et les dangers de l’avenir ; ne l’oubliez pas, l’heure venue…

L’heure venue, je m’en souvins.

Dès les derniers jours d’octobre, notre existence quotidienne avait sa règle ; et nous étions tous trois aussi complètement isolés que si la maison par nous habitée eût été une île déserte, et que le grand réseau de rues, les milliers de créatures semblables à nous dont nous étions entourés, eussent été les flots d’un océan sans limites. Je pouvais, maintenant, compter sur quelque répit pour me mettre à même de méditer le plan de ma campagne à venir, et les moyens de m’assurer, dès le début, les armes nécessaires à la lutte que j’allais entreprendre contre sir Percival et le comte.

J’avais écarté toute espérance de faire accepter, pour preuve de l’identité de Laura, soit mon témoignage personnel, soit celui de Marian. Alors même que nous l’eussions moins tendrement aimée, et si nous n’avions pas dû nous fier aux instincts de notre affection plus qu’à tout effort de logique, plus qu’à toute subtilité d’observation, son aspect seul eût suffi pour nous faire hésiter.

Les changements extérieurs, produits chez elle par les souffrances et les terreurs du passé, avaient accentué d’une manière effrayante, et de façon à nous laisser peu d’espoir, la fatale ressemblance qui existait entre elle et Anne Catherick. Dans mon récit du séjour que j’avais fait naguère à Limmeridge-House, j’ai noté, les ayant observées toutes deux, que cette ressemblance, si frappante qu’elle fût comme aspect général, offrait cependant d’im-