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ques heures, se trouver rendues à Limmeridge-House ; et dans l’état d’esprit où se trouvait actuellement M. Fairlie, nul doute qu’elles ne dussent compter sur l’appui de son influence et de son autorité locales. La plus vulgaire attention, accordée à la sécurité de lady Glyde, contraignait donc miss Halcombe à déserter la lutte entreprise, pour lui faire rendre justice, et à l’emmener immédiatement loin de ces lieux, devenus spécialement périlleux pour elle, ceux-là mêmes où elle était née, où elle avait toujours résidé.

Revenir immédiatement à Londres fut le premier moyen de salut, et aussi le meilleur, qui s’offrit à elle. Dans la grande cité, toutes traces de leur existence devaient s’effacer et se perdre plus promptement, plus sûrement que partout ailleurs. Point de préparatifs à faire, nuls adieux, nulles paroles de cœur à échanger. Dans l’après-midi de ce déplorable 16 octobre, miss Halcombe excita sa sœur à un dernier effort de courage, et, sans qu’une âme vivante se trouvât là pour leur adresser, au départ, un vœu favorable, toutes deux, seules, se lancèrent à travers le monde, et pour jamais dirent adieu à ce séjour qu’elles avaient tant aimé.

Elles avaient déjà passé la colline, au pied de laquelle était le cimetière, lorsque lady Glyde voulut absolument revenir sur ses pas, pour jeter un dernier regard sur le tombeau de sa mère. Miss Halcombe essaya de l’en détourner ; mais, cette fois, contre son ordinaire, elle échoua complètement. Rien ne put ébranler Laura. Dans ses yeux ternis brilla une flamme soudaine, perçant le voile dont ils étaient couverts ; ses doigts amaigris pressaient, d’une étreinte, à chaque instant plus nerveuse, le bras ami sur lequel, naguère, ils étaient nonchalamment posés… Je crois, et du fond du cœur, que la main de Dieu, à ce moment, les forçait à rebrousser chemin, et que, pour se manifester à elles, il avait choisi, à dessein, la plus innocente, la plus affligée de ses créatures.

Elles retournèrent au champ de repos, et, par cet acte, en apparence si indifférent, scellèrent l’avenir de nos trois existences.