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au milieu du tumulte et du mouvement d’une rue de Londres.

La rue est dans un quartier populeux et pauvre. Le rez-de-chaussée d’une des maisons qui la bordent est occupé par le magasin d’un petit marchand de journaux ; le premier et le second étage forment deux logements meublés, de la plus humble catégorie.

J’ai pris, sous un nom d’emprunt, ces deux logements. J’habite à l’étage supérieur où j’ai une chambre pour travailler, une chambre pour dormir. Au-dessous de moi, sous le même nom d’emprunt, résident deux femmes que j’ai présentées comme mes sœurs. Je gagne ma vie à dessiner et à graver sur bois pour les « magazines » à bon marché. Mes « sœurs » sont censées me venir en aide en se chargeant, çà et là, de quelques travaux de couture. Notre pauvre séjour, notre humble profession, notre parenté prétendue, notre nom d’emprunt, tout cela doit servir à nous tenir bien cachés dans cette forêt de maisons qu’on appelle Londres. Nous ne comptons plus parmi ceux de ses habitants dont la vie est au grand jour et connue de tous. Je suis un travailleur obscur auquel personne ne prend garde, sans patron, sans amis qui lui viennent en aide. Marian Halcombe n’est plus rien que ma sœur aînée, pourvoyant par le labeur de ses mains à nos nécessités domestiques. Au point de vue d’autrui, nous serions tous deux à la fois les dupes et les agents d’une imposture audacieuse. On nous croit les complices d’Anne Catherick, cette folle qui revendique le nom, la situation sociale et l’individualité vivante de lady Glyde, morte il y a quelques mois.

Telle est notre situation. Tel est le nouvel aspect sous lequel il faudra nous envisager désormais, dans ce récit, à mainte et mainte page de celles qu’on va lire.

Aux yeux de la raison et de la loi, selon la croyance de ses parents et de ses amis, de par toutes les formules qu’accepte la société civilisée, « Laura, lady Glyde », gît enterrée avec sa mère, dans le cimetière de Limmeridge.