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autorisé, même en pensée, à lui manquer en quoi que ce fût. Mon instinct m’en avertissait, tandis que je me laissais gagner malgré moi par la contagion de sa brillante gaieté, tâchant, avec plus ou moins de succès, de lui répondre sur le ton qu’elle avait pris elle-même.

— Oui ! oui ! me dit-elle en réponse à l’unique explication que je pusse lui donner de mon air d’embarras… je comprends à merveille. Vous êtes si parfaitement étranger dans notre maison, que mes familières allusions restent pour vous lettres closes… C’est bien naturel, et j’aurais dû m’en aviser plus tôt… Du reste, je puis remédier à cet inconvénient… Si je commençais par moi-même, quitte à me débarrasser de moi le plus tôt possible ?… J’ai nom Marian Halcombe, et quand j’appelle M. Fairlie « mon oncle », ou miss Fairlie « ma sœur, » je commets une de ces inexactitudes qui sont l’apanage des femmes. Ma mère a été mariée deux fois : la première, à M. Halcombe, mon père ; la seconde à M. Fairlie, le père de ma demi-sœur. À cela près que nous sommes orphelines toutes deux, nous n’avons point la moindre analogie, elle et moi. Mon père était pauvre, et le sien riche. Je n’ai rien, elle est classée parmi les héritières du pays. Je suis brune et laide, elle est blonde et jolie. Je passe généralement pour bizarre et difficile à vivre (à bon droit, je dois en convenir) ; on lui attribue généralement (et avec non moins de justice) tout ce que la douceur et la bonté peuvent avoir de charme… — Bref, c’est un ange et moi je suis… — Goûtez de cette marmelade, monsieur Hartright, et, au nom des convenances féminines, achevez pour votre usage la phrase commencée par moi… Que vous dire de M. Fairlie ?… Sur mon honneur, je n’en sais trop rien. Il vous enverra certainement chercher après le déjeuner, et vous serez à même de l’étudier. D’ici là, je vous apprendrai simplement qu’il était le frère cadet de M. Fairlie, mon beau-père en second lieu, qu’il ne s’est jamais marié ; enfin, que miss Fairlie est sous sa tutelle. Je ne puis vivre sans elle, elle ne peut vivre sans moi, voilà pourquoi j’habite Limmeridge-House. Ma sœur et moi sommes fort éprises l’une de l’autre, ce qui, direz-