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esprit. Elle ne pouvait plus penser qu’à cela, ni parler que de cela.

Nous n’avions guère parcouru plus d’un tiers de « l’Avenue-road » quand je vis un cabriolet s’arrêter devant une maison à quelques portes de nous. Un gentleman en descendit, qui rentrait chez lui, et devant lequel s’ouvrit la porte de son jardin. Je hélai le « cab » au moment où le cocher remontait sur son siège. L’impatience de ma compagne était devenue telle, qu’en traversant la route pour aller le rejoindre, elle me força presque à prendre la course.

— Il est si tard ! disait-elle ; je ne suis pressée que parce qu’il est tard.

— Je ne puis vous prendre, monsieur, à moins que vous n’alliez du côté de Tottenham-court-road, — me dit le cocher, fort poliment du reste, au moment où j’ouvrais la portière. — Mon cheval est sur les dents, et je ne saurais le mener plus loin que son écurie.

— Fort bien ! fort bien ! c’est justement mon affaire… Je vais de ce côté… Je vais de ce côté ! — Elle parlait ainsi d’une voix entrecoupée par l’émotion, et en me poussant de côté pour monter dans le cabriolet.

Avant de l’y laisser entrer, je m’étais assuré que le cocher, si poli d’ailleurs, avait bien sa tête à lui. Et maintenant, l’y voyant installée, je la suppliai de permettre que je pusse la conduire saine et sauve à destination.

— Non, non, non ! — dit-elle, avec une certaine véhémence. — Je suis parfaitement sauve, parfaitement heureuse, à présent. Si vous êtes un gentleman, souvenez-vous de votre promesse… dites-lui de marcher jusqu’à ce que je l’arrête !… Merci, maintenant, oh ! merci, merci, mille fois !…

Ma main était sur le tablier du cabriolet. Elle s’en saisit, la baisa, et la repoussa vivement. Le cabriolet, au même moment, partit. Je m’élançai dans la même direction, avec quelque velléité de l’arrêter ; et pourquoi, je ne savais. — J’hésitai, cependant, de peur d’effrayer ou de tourmenter cette femme : — je finis par appeler, mais