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Nous doublâmes donc le pas, et pendant une demi-heure, tout au moins, pas une parole ne fut échangée entre nous. De temps en temps, toute autre question m’étant interdite, j’interrogeais son visage par quelques regards jetés à la dérobée. Il n’avait pas changé d’expression : les lèvres étaient toujours serrées fortement l’une contre l’autre ; le front avait gardé ses plis attristés, le regard, à la fois ardent et vague, se portait toujours droit en avant. Nous avions gagné les premières maisons du faubourg et nous approchions du nouveau collège Wesleyen, quand ses traits rigides se détendirent un peu, et alors elle reprit d’elle-même la conversation interrompue.

— Habitez-vous Londres ? dit-elle.

— Oui, répondis-je, et au même moment, l’idée me vint qu’elle pouvait avoir formé le projet de recourir à moi pour quelque assistance ou quelques conseils ; il fallait, en ce cas, lui épargner un désappointement possible, en l’avertissant que j’allais sous peu m’absenter de chez moi. Aussi ajoutai-je immédiatement : — Demain, par exemple, je quitterai Londres pour quelque temps. Je vais à la campagne.

— Où ? demanda-t-elle : au nord ou au midi ?

— Au nord ; dans le Cumberland.

— Le Cumberland !… répéta-t-elle avec une sorte d’onction… Ah ! je voudrais bien y aller, moi aussi. J’ai passé dans le Cumberland de bien heureuses années…

J’essayai, une fois encore, de soulever le voile étendu entre cette femme et moi.

— Peut-être êtes-vous née, lui dis-je, dans la belle région des Lacs ?

— Non, répondit-elle, mon pays natal est le Hampshire ; mais autrefois, j’ai passé quelque temps dans une des écoles du Cumberland… Les Lacs, dites-vous ?… Je ne me souviens d’aucun lac. C’est le village de Limmeridge, c’est Limmeridge-House que j’aimerais à voir.

À mon tour, maintenant, de rester tout à coup sur place. Au moment où ma curiosité était poussée jusqu’au paroxysme, cette allusion fortuite au séjour habité par