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Il s’adressait à nous toutes ; mais il regardait spécialement Laura.

Elle avait appris à partager la crainte que me causait l’idée d’offenser cet homme, et accepta immédiatement sa proposition. C’était plus que je n’eusse pu faire en ce moment. Aucune considération ne m’aurait pu réduire à m’asseoir à la même table que lui. Ses yeux, à travers l’obscurité du crépuscule, toujours plus épaisse, semblaient pénétrer au fin fond de mon âme. Les vibrations de sa voix, passant sur chacun de mes nerfs, me donnaient chaud et froid. Mon rêve, dont les mystérieuses terreurs m’avaient hantée par intervalles durant toute cette soirée, écrasait maintenant mon esprit sous le poids de pressentiments intolérables et d’une angoisse difficile à rendre. Je revis la blanche tombe, et la dame voilée perçant la pierre funèbre pour venir se placer à côté d’Hartright.

Au plus profond de mon cœur, la pensée de Laura jaillit comme une source et vint l’inonder d’une amertume qu’il n’avait jamais connue. Au moment où, se rendant à la table de jeu, elle passait devant moi, je saisis sa main et j’y posai mes lèvres, comme si cette soirée devait à jamais nous séparer. Tandis qu’ils me regardaient tous fort étonnés, je m’élançai dans le jardin par la porte-fenêtre ouverte devant moi, fuyant leurs regards, et voulant ainsi me dérober à moi-même.

Nous nous séparâmes, ce soir-là, plus tard qu’à l’ordinaire. Vers minuit, le silence qui nous entourait fut rompu par les frémissements mélancoliques d’une brise sourde qui se glissait parmi les arbres. Nous avions tous senti l’atmosphère se refroidir soudainement ; mais le comte fut le premier qui prit garde à ce vent furtif dont le souffle s’élevait. Tandis qu’il allumait une bougie pour moi, il s’arrêta tout à coup, et marquant ses paroles du geste :

— Écoutez bien ! me dit-il… il y aura demain du changement…