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mon réveil, ce jour-là, je n’avais pas songé à lui ; Laura ne m’avait pas dit un seul mot qui, directement ou indirectement, eût pu me le rappeler, — et pourtant, je le voyais là, devant moi, aussi distinctement que si les jours passés fussent revenus, et que si nous étions encore réunis, tous les deux, à Limmeridge-House.

Il m’apparut parmi un grand nombre d’autres hommes dont je ne pouvais clairement discerner les traits. Tous étaient étendus sur les degrés d’un vaste temple en ruines. La végétation colossale des tropiques, — troncs énormes, chargés de lianes infinies, et parmi leurs feuillages, leurs tiges mêlées, de hideuses idoles de pierre, faisant briller au soleil leurs masques grimaçants, — enveloppait le temple, dérobait l’azur du ciel, et jetait une ombre sinistre sur ces groupes d’hommes perdus dans le désert et entassés sur les marches de granit.

Du sol échauffé s’élevaient, en déroulant silencieusement leurs anneaux entrelacés, de blanches exhalaisons ; pareilles à des nuages de fumée, elles se glissaient en muettes guirlandes vers ces hommes endormis ; à mesure que l’un d’eux en était effleuré, on le voyait se raidir et demeurer sans vie à la place même où il s’était couché. Un élan de terreur et de pitié pour Walter délia subitement ma langue, et je le suppliai d’éviter ce destin : — Revenez, revenez ! disais-je. Rappelez-vous « qu’elle » a, que « j’ai » aussi votre promesse ! Revenez-nous avant que la peste ne vous frappe et ne vous étende mort comme les autres !

Il me regarda, la physionomie empreinte d’un calme surhumain : — Attendez, disait-il. Je reviendrai. Cette nuit où je rencontrai sur le grand chemin la femme égarée, cette nuit a marqué ma vie comme devant être l’instrument d’un dessein encore voilé. Perdu, ici, dans le désert, ou bien revenu, là-bas, sur la terre natale, je n’en suivrai pas moins la route sombre qui me conduit, ainsi que vous, ainsi que la sœur de votre amour et du mien, à la rétribution inconnue, au but inévitable. Attendez et voyez ! La peste qui touche les autres ne « me » touchera pas.