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sans nous le dire. À quelle autre source puiser des consolations ? Si vous eussiez été là, vous m’en auriez peut-être fourni de plus saines. Je sais que j’avais tort, ma chérie ; mais dites-moi si ce tort était sans excuse…

Je me vis contrainte à me détourner d’elle :

— Ne me faites point cette question, lui dis-je ; est-ce que j’ai souffert comme vous ? Quel droit ai-je donc à vous juger ?

— Je pensais à lui, répondit-elle, baissant la voix et se serrant contre moi, je pensais à lui quand Percival me laissait seule, le soir, pour aller se mêler aux gens de théâtre. Je me plaisais à chercher ce qu’eût été ma destinée s’il avait plu au ciel de me faire naître pauvre, et si j’étais devenue « sa » femme. Je me voyais d’ordinaire, alors, dans une petite robe pas bien chère, mais proprette, l’attendant au logis pendant qu’au-dehors il eût gagné notre pain, — assise à son foyer et travaillant pour lui, et l’aimant d’autant mieux que j’aurais eu à travailler pour lui ; — le voyant revenir fatigué, lui retirant moi-même son chapeau, son habit ; — et, Marian, le réjouissant de quelques petits mets bien simples que, pour l’amour de lui, j’aurais appris à préparer moi-même. — Oh ! j’espère bien qu’il n’est jamais assez seul ni assez triste pour penser à moi, pour évoquer mon image comme j’ai pensé à lui, comme la sienne m’est apparue !…

Tandis qu’elle prononçait ces tristes paroles, sa voix avait repris la tendresse vibrante, son visage avait repris la frémissante beauté qui les caractérisaient jadis, et que j’avais pu croire perdues. Ses yeux s’arrêtaient sur la scène désolée, déserte, presque sinistre, qui était devant nous, avec le même regard d’amour que si, dans le ciel obscur et menaçant, ils eussent revu les collines aimées de notre cher Cumberland.

— Ne me parlez plus de Walter, lui dis-je, dès que j’eus repris quelque empire sur moi-même. Oh ! désormais, Laura, épargnons-nous, à toutes deux, l’amertume de son souvenir !… Elle se releva, et me regardant avec tendresse :