Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je ne m’explique pas, Laura, le goût que vous avez pour cet affreux lac.

— Pour le lac lui-même, non ; mais pour le paysage qui l’environne. Les sables et la bruyère, et les épicéas, sont dans cet immense domaine les seuls objets qui me rappellent Limmeridge. Pourtant, si vous le préférez, nous prendrons d’un autre côté.

— Je n’ai pas, à Blackwater-Park, de promenades favorites, bonne et chère enfant. L’une vaut l’autre à mes yeux. Partons pour le lac ; — il fera peut-être plus frais dans ce grand espace ouvert qu’au milieu de nos bois clos de toutes parts…

Nous marchâmes en silence parmi les plantations où le jour pénétrait à peine. La pesanteur de l’air du soir nous accablait toutes deux ; et, parvenues une fois à la petite hutte dont il a déjà été question, nous fûmes charmées de pouvoir y entrer pour nous asseoir et prendre un peu de repos.

Un brouillard blanc planait à quelques pieds au-dessus du lac : dominant cette vapeur, la bordure épaisse et brune des arbres placés sur la rive opposée semblait comme une forêt naine flottant en plein ciel ; ses terrains sablonneux — qui, de l’endroit où nous étions, s’abaissaient en pente douce, — s’allaient perdre mystérieusement à la limite extérieure du brouillard. Le silence était horrible. Ni frémissements de feuilles, — ni chants d’oiseaux dans le bois, — ni gibier d’eau criant parmi les marécages du lac voilé. Les grenouilles mêmes, ce soir-là, suspendaient leur coassement monotone.

— Tout ceci est bien sombre, bien désolé, dit Laura ; mais ici, plus que partout ailleurs, nous pouvons nous assurer d’être seules…

Elle s’exprimait avec calme, laissant errer sur ce désert de sables et de brouillards ses yeux fixes et pensifs. Je pouvais deviner que sa pensée était trop absorbée pour subir ces pénibles impressions du dehors qui déjà pesaient sur la mienne.

— Je vous ai promis, Marian, commença-t-elle, de vous dire, au lieu de vous le laisser deviner, ce qu’a été mon