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est une autre question. J’ai surpris une ou deux fois, sur ses lèvres pincées, de soudains changements d’expression, et, dans sa voix calme, des inflexions d’accent également soudaines, lesquelles m’ont amené à soupçonner que, dans son état actuel de concentration, elle tient pour ainsi dire en vase clos les éléments pernicieux de son organisation morale, éléments qui se dégageaient sans nuire, et comme au grand air, dans la liberté de son existence antérieure. Il est fort possible, d’ailleurs, que cette idée à moi n’ait pas le sens commun. Mon impression, néanmoins, c’est que je suis dans le vrai. Au surplus, qui vivra verra !

Et le magicien dont la baguette a opéré cette miraculeuse métamorphose, — ce mari étranger par lequel a été domptée une Anglaise têtue, à ce point que ses parents ont peine à la reconnaître, — le comte lui-même, quel est-il ? que dire de ce personnage ?

Ceci, en deux mots : il a l’air d’un homme capable de dompter quoi que ce soit. Si, au lieu d’une femme, il avait épousé une tigresse, la tigresse fût devenue maniable. S’il m’avait épousée, « moi », je lui aurais fabriqué des cigarettes, ainsi que le fait sa femme, et je me serais tue sous son regard, comme elle se tait quand il lui jette un certain coup d’œil.

J’ai presque peur d’avouer ceci, même dans le secret de ces pages. Cet homme m’a intéressée, fascinée, forcée à prendre du goût pour lui. Dans le court espace de deux journées, il a trouvé moyen de m’imposer un jugement, qui lui est favorable, et comment il a réalisé ce miracle, il me serait bien impossible de l’expliquer.

Maintenant que je pense à lui, j’éprouve une sorte de tressaillement en découvrant combien son image m’est présente !… À quel point, dans mes souvenirs, elle m’apparaît plus nette que celle de sir Percival, ou de M. Fairlie, ou de Walter Hartright, ou de n’importe quel autre personnage absent dont je puisse me rappeler, à la seule exception de Laura elle-même ! Sa voix, je l’entends, comme s’il m’adressait présentement la parole,