Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et lui donne l’air, pour la première fois de sa vie depuis que je la connais, d’une femme tout à fait convenable. Personne (excepté son mari, cela va sans le dire), personne ne voit plus, chez elle, ce que tout le monde y voyait autrefois, un beau sujet d’étude ostéologique, permettant d’apprécier le rôle que jouent, dans la structure féminine, les omoplates et les clavicules. Uniformément vêtue de robes, grises ou noires, montant jusqu’à la naissance du cou, — toilette qui l’aurait fait éclater de rire ou pleurer à chaudes larmes, suivant le caprice du moment, lorsqu’elle était encore demoiselle, — elle siège, muette, dans les petits coins ; et cependant, ses mains blanches et sèches (si sèches que les pores de sa peau semblent envahis par de la craie), ses mains sont incessamment occupées, soit à quelque éternelle broderie, soit à rouler une interminable série de petites cigarettes pour l’usage particulier de M. le comte. Dans les rares occasions où ses yeux, d’un bleu froid, quittent son ouvrage, ils sont généralement tournés du côté de son mari, avec ce regard de muette soumission par lequel nous voyons tous les jours un chien fidèle interroger son maître. Si jamais on peut croire à quelque dégel intérieur se manifestant sous cette enveloppe de gêne glacée, c’est quand on la voit, comme cela m’est arrivé une ou deux fois, comprimer les élans de la jalousie quelque peu tigresse dont elle semble animée contre toute femme du château (soubrettes y comprises) à laquelle le comte vient à parler, ou sur laquelle s’arrêtent ses regards avec quelque intérêt, quelque attention spéciale. À cette exception près, elle est toujours, le matin, à midi et le soir, dedans ou dehors, qu’il fasse beau ou qu’il fasse mauvais, aussi froide qu’une statue, aussi impénétrable que le marbre dans lequel cette statue est taillée. Ce changement extraordinaire qui s’est ainsi accompli en elle, est certainement une amélioration en ce qui touche aux rapports ordinaires de société, puisqu’il a fait d’elle une femme polie, point bavarde, point gênante et qu’on ne trouve jamais en travers de sa route. Quant à ce qui est de savoir si dans son for intérieur, elle est amendée ou devenue pire, ceci