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toute son étendue, et c’est à peine si quelque rare monticule couvert de bruyères, en déguisait, par endroits, la stérilité monotone. Le lac lui-même montait autrefois, bien évidemment, jusqu’à l’endroit où je m’étais arrêtée, mais une déperdition graduelle lui a ôté peu à peu environ les deux tiers de son étendue primitive. Dans les bas-fonds, à un quart de mille environ de l’endroit où j’étais, je voyais ses eaux, lourdes et stagnantes, divisées en flaques et en petits étangs par des joncs et des roseaux emmêlés, ou bien encore par de petites élévations de terrain restées à nu. Sur la rive la plus écartée de moi, les arbres, formant derechef un épais rideau, arrêtaient net le regard et projetaient leur ombre noire sur les eaux basses et immobiles. En descendant vers le lac, je constatai que le terrain, du même côté, était détrempé, marécageux, surchargé d’herbes luxuriantes et de saules à la pâle écorce. L’eau, suffisamment limpide du côté ouvert et sablonneux où donnait le soleil, ressemblait, — sur la rive opposée où elle reposait plus profonde, surplombée par ses bords fangeux couverts de buissons et d’arbres enchevêtrés, — à quelque poison épais et noir. À mesure que j’avançais dans la direction des marécages, les grenouilles coassaient, tout à coup réveillées, et les rats, tantôt s’échappant de cette eau sombre, tantôt y rentrant sans le moindre bruit, semblaient participer de sa nature fantastique. J’aperçus, à moitié submergée, l’épave pourrie d’un vieux bateau sens dessus dessous ; un pâle rayon de soleil, se glissant par quelque trouée du bois, posait une sorte de tache lumineuse sur les planches restées à sec, et un serpent venu là pour se réchauffer, y roulait, dans une immobilité perfide, ses anneaux mouchetés. De près comme de loin, le spectacle que j’avais sous les yeux suggérait les mêmes impressions pénibles d’abandon et de ruine ; le glorieux état du ciel d’été qui dominait le tableau ne semblait qu’ajouter à la profondeur obscure, à la stérilité repoussante de cet endroit désert, sur lequel il brillait en vain. Je revins sur mes pas, regagnant les hauteurs couvertes de bruyères, et, laissant de côté l’allée où j’avais d’abord marché, je me