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Les heures étaient comptées que je devais passer à Limmeridge-House : mon départ était irrévocablement fixé au lendemain matin ; je n’avais plus aucun rôle à jouer dans les investigations que la lettre anonyme avaient rendues nécessaires. En laissant mon cœur s’abandonner, pendant les courtes heures qui me restaient, à la triste douceur des adieux, je ne faisais donc de tort qu’à moi-même ; et, ces adieux, je les devais bien aux sites désormais inséparables, dans mes souvenirs, de ce rêve de bonheur et d’amour si rapide et si brusquement tranché.

Je tournai d’instinct dans cette allée tracée sous la fenêtre de mon atelier, où je l’avais vue, le soir d’avant, se promener avec son petit chien ; et je suivis le sentier que ses pieds chéris avaient si souvent foulé, jusqu’à la petite porte grillée de sa roseraie. L’hiver, maintenant, avait tristement dépouillé cette enceinte, naguère encore si riante. Les fleurs dont elle m’apprenait les noms, les fleurs que je lui apprenais à peindre, avaient toutes disparu, et les sentiers étroits qui se dessinaient en blanc à travers leurs massifs, — humides à présent et presque boueux — commençaient à verdir déjà.

Je poussai jusqu’à la charmille sous laquelle nous avions respiré ensemble la tiédeur parfumée des soirs d’août ; où nous avions admiré ensemble les innombrables combinaisons d’ombre et de lumière qui pommelaient la plaine étendue au-dessous de nous. Des branches gémissantes, les feuilles tombaient autour de moi, et l’atmosphère chargée d’émanations terreuses me gelait jusqu’à la moelle des os. En marchant toujours, je me trouvai hors de l’enclos, suivant cet étroit chemin entre deux haies, qui doucement montait vers les coteaux voisins. Le vieil arbre abattu au bord du sentier, et sur lequel nous nous étions si souvent assis pour nous reposer, était imbibé de pluie ; et la touffe de fougères et d’herbes que j’avais dessinée pour elle (s’abritant, devant nous, à l’ombre de cette vieille muraille rugueuse), s’était transformée en une flaque d’eau stagnante, au milieu de laquelle se dressait un îlot de plantes souillées de limon. J’arrivai au sommet de la colline, et contemplai de là le paysage que, dans