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Elle leva les yeux sur moi, et son étonnement naïf était celui d’un enfant. Pas la moindre confusion, nul changement de couleur, aucun vestige de pudique alarme, bien moins encore de honte cachée n’apparut sur ce visage, si prompt à révéler toute autre émotion. Aucunes paroles qu’elle eût pu prononcer ne m’eussent aussi parfaitement convaincu de mon erreur absolue, relativement à ses motifs d’écrire et d’envoyer à miss Fairlie la mystérieuse dénonciation. Voilà donc un doute écarté, mais, par cela même, s’ouvrait devant moi une nouvelle perspective d’incertitudes. La lettre, ainsi que cela m’était positivement attesté, désignait sans le nommer, sir Percival Glyde. Anne Catherick avait eu, nécessairement, pour le signaler secrètement, aux méfiances de miss Fairlie, quelque puissant motif, tiré d’une rancune profonde, — les termes mêmes dont elle s’était servie ne laissaient là-dessus aucun doute, — et ce motif n’était pas, ainsi que d’abord on l’avait supposé, qu’elle eût à venger sur lui son innocence perdue, son beau renom détruit à jamais. Le tort dont il s’était rendu coupable envers elle, — quel qu’il fût d’ailleurs, — n’était pas de cette espèce. De quelle nature, en ce cas, pouvaient être les griefs de cette infortunée ?

— Je ne vous comprends pas…, me dit-elle, après avoir fait effort, sans y réussir, pour pénétrer le sens de mes dernières paroles.

— Soit, répondis-je, et laissons cela… Revenons au sujet que nous traitions. Dites-moi combien de temps vous avez passé chez mistress Clements, et comment vous êtes venue ici.

— Combien de temps ? répéta-t-elle. Mais je n’ai jamais quitté mistress Clements, et c’est avec elle que je suis venue ici, il y a deux jours de cela.

— Alors vous habitez le village ? Il est singulier que, même depuis deux jours, je n’aie pas encore entendu parler de vous.

— Mais non… non… nous n’habitons pas le village !… Nous sommes établies dans une ferme, à trois milles d’ici… La connaissez-vous ? On l’appelle Todd’s-Corner…