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première fois sur la grande route, au clair de lune.

— Vous vous souvenez de moi ? repris-je. Nous nous sommes rencontrés, la nuit, et je vous aidai à retrouver le chemin de Londres ; sûrement, vous n’avez pas oublié cette circonstance ?

Ses traits se détendirent, et de sa poitrine oppressée sortit un soupir de soulagement. Sous l’immobilité de mort que la peur avait imposée à ses traits, je vis, à mesure qu’elle me reconnaissait mieux, reparaître comme une vie nouvelle.

— Ne vous forcez pas, continuai-je, à me parler dès à présent. Prenez le temps de vous assurer que vous avez affaire à un ami.

— Vous êtes bien bon pour moi, murmura-t-elle ; aussi bon maintenant que vous le fûtes naguère.

Elle se tut, et, de mon côté, je gardai le silence. Ce n’était pas seulement pour lui laisser le temps de se calmer, mais aussi pour me donner à moi-même celui de réfléchir. Sous les pâles clartés du soir, nous nous rencontrions encore, cette femme et moi, un tombeau entre nous, les morts autour de nous, dans cette enceinte close de toutes parts, au sein du vallon solitaire. L’heure, l’endroit, les circonstances qui nous mettaient ainsi face à face, parmi ces collines désertes, dans ce silence universel ; les graves intérêts encore en suspens, et sur lesquels allaient peut-être exercer une influence décisive les quelques paroles qui s’échangeraient entre nous ; le pressentiment que, selon toute apparence, l’avenir tout entier de Laura Fairlie dépendait, en bien ou en mal, de la confiance que je saurais ou non inspirer à cette infortunée créature, immobile et tremblante, auprès du tombeau de sa mère ; — tout cela devait contribuer à ébranler la fermeté, la pleine possession de moi-même, sans lesquelles je ne pouvais faire un pas dans la voie difficile et périlleuse où je m’étais engagé. Pénétré de cette idée, je fis d’énergiques efforts pour ne perdre aucune de mes ressources, et tirer parti des quelques instants accordés à mes rapides calculs.

— Êtes-vous plus calme, maintenant ? lui dis-je aussitôt