Page:Collectif - Revue pittoresque 1848.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ressorts de son âme ardente reprenaient toute la verve, toute la hardiesse de la jeunesse, plus énergiques, plus brûlants que jamais, comme la force élastique qui, longtemps comprimée, ne bondit qu’avec plus de violence. Qu’elle était belle avec sa figure pâle et passionnée, avec son sein qui palpitait, impatient d’harmonie ! Elle chanta comme jamais elle n’avait chanté en ses plus beaux jours. Dans tout le cours de la pièce, exaltée par les applaudissements frénétiques, elle s’éleva au-dessus de tout ce que l’Italie avait produit de génie et de mélodie. Surprise elle-même de la puissance de ses moyens, elle dit à Rosetta, dans le dernier entr’acte, qu’il lui semblait qu’une autre voix que la sienne, une voix magique s’exhalait, mâle et pleine, de ses poumons élargis. Rosetta remplissait le rôle de Roméo. Sa belle voix de contralto, grave et sonore, avait été cultivée par les soins de la duchesse de R** : maintenant elle partageait son triomphe, son enthousiasme et ses inspirations. Elle-même l’arrangea dans le cercueil qui renferme, au dernier acte, Giuletta endormie, sous les fausses apparences du trépas. Elle détacha ses longs cheveux noirs, arrangea la couronne de roses blanches sur son front, et, l’embrassant avec tendresse : « Heureuse et guérie !» lui dit-elle. Et Gina lui sourit en la pressant sur son cœur.

La foule attendait : le rideau se releva aux accords lugubres d’un chant de mort. Roméo paraît, chante le beau récitatif du dernier acte, ôte le couvercle du sépulcre, y trouve son amante à la place de l’ennemi qu’il a tué, se tord les bras avec une pathétique énergie d’effroi et de désespoir, boit le poison qui doit le réunir à Juliette, revient à elle pour lui adresser un dernier adieu, la soulève dans ses bras…

Ici le public interdit se leva. Rosetta avait poussé un cri de terreur, et le corps qu’elle avait soulevé retomba lourd et roide dans le cercueil où Juliette devait se réveiller… Juliette ne se réveilla pas. Tant d’émotions longtemps perdues, longtemps désirées, retrouvées et senties avec tant de puissance avaient brisé ce corps épuisé de maladie : Gina était morte aux accords suaves et religieux de Zingarelli, au milieu du dernier et du plus beau de ses triomphes.

Deux hommes comprirent les premiers la vérité : ils s’élancèrent sur la scène par deux côtés différents. Le second fut le duc de R** ; le premier avait été Valterna, qui, rugissant de douleur, alla s’éteindre aux pieds de Juliette.


GEORGE SAND.