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transporte trop souvent à l’orgue pour se dispenser de toute étude sérieuse et se créer une vaine popularité.

Écoutez pourtant ce simple choral largement harmonisé ; dites, ne fait-il pas bien mieux valoir la suavité des jeux doux, ressortir la puissance de l’orgue que tout ce cliquant dépourvu d’intérêt et sans valeur musicale que devait s’approprier sans efforts le piano moderne ?

Car le piano s’est tellement vulgarisé qu’il a dû subir tous les caprices de la mode et les inepties du mauvais goût. Il faut en réalité toute la grâce d’un Hummel, le style lié d’un Cramer, la poésie d’un Chopin pour faire oublier le déluge de plates transcriptions, de morceaux de genre, de lieux communs de toute espèce dont nous a gratifiés depuis près de 60 ans cet aimable rejeton de l’orgue.

Pour un Mozart, un Beethoven au piano, que de Leduc, de Ketterer, de Sydney Smith. Pour de belles sonates, véritables miniatures symphoniques, des chants expressifs, des pièces de poésie descriptive connues d’un petit nombre d’amateurs délicats, de combien de souvenirs d’opéra-bouffe, de fantaisies creuses, de vulgaires imitations d’orage, etc., ne farcie-t-on pas au piano les doigts et la mémoire de la nouvelle génération ?

Certes, je ne refuse pas au piano la faculté de chanter, de nuancer, de phraser, des effets de sonorité dont s’est inspiré plus d’une œuvre remplie de distinction ; aussi je constate moins son infériorité relative comme instrument sui generis, que les écarts et les débordements de la pianomanie ; je lui refuse surtout le droit de s’installer à l’orgue pour y traduire des procédés et des formules incompatibles avec ses effets et son mécanisme, que ces procédés soient autorisés par Beethoven, ou par un temps de valse du P. Lambillotte.[1]

Il est dans les arts des principes immuables, des règles infaillibles de goût et de convenance, comme dans la poésie, l’éloquence et la peinture ; la musique a ses lois définies, appliquées par toute une filiation d’exécutants et de compositeurs.

  1. Le phrasé, les accents et les mille nuances de détails de certains andante de Sonate par exemple, deviennent intraduisibles sur un clavier d’orgue puisque le toucher n’y modifie en rien la force du son. Le piano comme l’orgue y perdrait assurément.