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jours sans prendre de nourriture. Quarante-cinq jours pendant les grandes chaleurs, sans manger… un pied de salade, quel tour de force anti-gastromane, n’est-ce pas ?

La salade, ai-je dit ? Se priver de salade pendant quarante-cinq jours de chaleur ! Quelle imprudence ! La salade en effet est bien un aliment aussi agréable qu’hygiénique, aussi sain que rafraîchissant. Je suppose que j’ai quelques lecteurs qui s’intéressent à tout ce qui flatte le palais et fait le ventre, je leur laisse en passant les notes suivantes sur ce précieux légumineux, car la salade a aussi son histoire, qui n’en aurait pas ?

L’étymologie du mot salade vient des deux mots latins, sal (sel) et latus (laitue), qui indiquent deux des principaux ingrédients qui la composent, laitue signifiant ici toute feuille qu’on peut lui substituer, romaine, pissenlit, cresson, etc., etc.

Le maître en l’art d’assaisonner la salade, nous dit le Dr Meyer, à qui j’emprunte ces notes gastronomiques, fut un Français, le chevalier Gaudet.

Salut, chevalier !

Obligé d’émigrer de France, lors des troubles de la Révolution, Gaudet s’enfuit en Angleterre sans moyen d’existence, sans profession, sans argent. Comme le philosophe ancien, il s’écria en prenant pied sur la terre anglaise : « Je porte mon trésor avec moi. » Il disait vrai ; ce trésor, qui devait lui procurer une honnête aisance, n’était autre que l’art de savoir faire une salade. Il introduisait l’usage, jusqu’alors inconnu, des couverts à salade.

Nul mieux que lui ne connaissait aussi exactement le juste milieu entre le trop et le trop peu par la quantité de sel, de poivre, d’huile et de vinaigre nécessaires ; nul ne savait mieux choisir la salade appropriée à chaque saison. Avec quelle grâce il divisait les feuilles ! avec quelle dignité il mélangeait les ingrédients dans le plat !

Aussi notre célèbre Vatel était-il l’honneur et l’orgueil des maisons les plus nobles.

On ne sera pas surpris que je consacre une page à la laitue quand on saura, avec ce que j’ai dit plus haut de ses vertus, le fameux dicton dont se vante l’art gastronomique :