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blement sur quelques récits fantastiques qu’il aura lus avec une ardeur trop naïve, ou bien encore sur un certain amour du merveilleux et du terrible, sujet toutefois à se modifier sensiblement au contact de la réalité. Dans ce dernier cas, le roman tourne toujours à un héroïsme très suspect, s’il ne tombe pas dans le ridicule. Il y a de telles gens qui ne pensent qu’aux armes, ne portent que des armes et ne jurent que par les armes : mettez-les à l’épreuve, ils se sauveront au premier bruit ou tueront aveuglément le passant qui demande l’heure qu’il est. Il est facile d’éviter ces excès en suivant son chemin sans s’arrêter inutilement à ses illusions, et sans s’exciter d’une façon parfois grotesque ; cela vaut mieux que l’honneur de pourfendre le plus redoutable adversaire. Le calme et le courage moral font la force du voyageur ; ils sont les armes puissantes avec lesquelles il peut braver tous les obstacles et endurer la plus grande misère. D’ailleurs l’homme sage ne s’aventure pas sans prudence et ne craint pas sans motif ; il mesure consciencieusement ses actions et arrive toujours à bon port ; il suit enfin cette noble devise si bien connue des Canadiens : « Aime Dieu et va ton chemin, » et rien ne l’arrête dans sa course. Cet exemple importe grandement à quiconque entreprend de voir du pays ; autrement rien ne réussit, car les efforts et les sacrifices imposés par les voyages ne se réduisent qu’à une peine perdue et à des fatigues inutiles ; à moins que le voyageur ne soit d’une crédulité et d’une ignorance tellement invincibles qu’il prête une proportion exagérée aux différents objets qu’il rencontre. Il ne reste plus alors qu’à se rappeler le Rat de la Fable :

« Voilà les Apennins et voici le Caucase,
La moindre taupinée était mont à ses yeux. »

Malheureusement son ignorance et sa naïveté lui jouent* un vilain tour. Cela dit, revenons au Colorado.

Sans doute le lecteur ne s’attend pas à la description d’un fleuve, d’un lac important, d’une forêt où même d’une herbe plantureuse ; le désert qu’il a déjà entrevu lui en ôte certainement l’idée. Qu’il se figure plutôt des plaines semblables à la mer par leur étendue, imposantes dans leur silence et