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en province. Aussi en était-il fier comme Artaban, de pompeuse mémoire.

Mais, pour le moment, tout son petit monde était dispersé à des points cardinaux très éloignés l’un de l’autre, et il réintégrait seul son perchoir par une froide soirée de novembre.

Il était minuit. Ayant pris, suivant son habitude, le chemin des écoliers pour rentrer à Paris, son bagage se composait de la légère valise qu’il portait à la main, et, comme le froid piquait vivement, il grimpa quatre à quatre les cent et une marches qui le séparaient de sa cage, car c’était bien une véritable cage vitrée que son home. La maison se dressait parfaitement isolée avec de faux airs de Saint-Jacques, et dans les tourmentes elle fléchissait sous les assauts de la rafale, comme la colonne de Juillet. Mais, en revanche, quand on avait escaladé ce belvédère vacillant, on jouissait d’une vue très gaie et très originale sur les hôtels polychromes du voisinage, tout enveloppés de verdure. En ce moment, la verdure avait été rejoindre celle d’autan, les feuilles jaunies tourbillonnaient dans le givre, et la bise servait d’orchestre à cette valse mélancolique, à laquelle, dans un milieu moins sceptique que la boueuse et mal odorante Lutèce, se fût mêlée, sans nul doute, quelque funèbre ronde d’âmes en peine, car l’on était au jour des Morts.

Pierre Gueuxarcher était rarement enclin à la mélancolie, ce qui ne l’empêchait point d’avoir l’imagination guère moins fantastique que feu Hoffmann. La nuit était noire comme la conscience d’un homme d’État, le gaz était dans l’escalier, et la maison silencieuse comme une tombe. Il n’avait pas d’autres voisins que les moineaux du toit, et, pourvu qu’on ne piétinât pas trop dans son nid aérien, on pouvait s’y assassiner tout à l’aise, sans attirer l’attention de qui que ce fût. Mais jusqu’alors Gueuxarcher s’était d’autant moins préoccupé de cette solitude, que, s’il eût eu une caisse, elle aurait toujours été vide. Aussi n’avait-il pas de caisse, et, en partant, il avait laissé la clef sur son bureau. Le vulgaire acajou de ce meuble ne renfermait que des papiers, contenant une foule d’idées destinées à être volées