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LA CHIBERLI

ÉTUDE D’APRÈS NATURE

I

Quelques jours après les dernières élections générales, un journaliste parisien, qui venait de soutenir en province une candidature malheureuse, rentrait dans son cinquième étage de la cité Malesherbes. À vrai dire, il portait gaiement sa défaite ; car, si son candidat avait échoué avec bien d’autres, lui-même venait de faire une magnifique tournée archéologique dans l’est de la France, ce qui lui tenait beaucoup plus à cœur que la politique. N’ayant aucune ambition de ce côté, il n’avait que de très molles convictions, et s’il avait défendu la cause de l’ordre, c’était par une vieille habitude plutôt que par tout autre motif ; car il pouvait dire avec Alfred de Musset :

Que jamais un mortel ne promena sur terre
De plus large mépris des peuples et des rois.

Or, ce mépris, Pierre Gueuxarcher-Duclaux l’avait considérablement promené non seulement sur terre, mais encore sur mer, et naturellement il avait justifié le proverbe : pierre qui roule n’amasse pas mousse. Il avait aimé les belles choses et il avait eu de belles choses, une belle terre, de beaux meubles, de beaux chevaux, de beaux chiens, de belles maîtresses ; de tout cela, il ne lui restait que quarante-cinq printemps qu’il hissait gaillardement jusqu’à son cinquième étage, une femme plus jeune de dix ans, qui avait, été belle, et une fille de quinze, le meilleur article qu’il eût jamais fait, disait-il, et, chose plus extraordinaire, le seul pour lequel il n’eût jamais reçu que des compliments, même