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qu’il se garde bien de ne pas demander un prix déraisonnable, sous peine d’être congédiai. Bons Américains, n’ayez peur : le Parisien connaît votre humeur et vous servira à souhait. Dans le petit marchand même, qui roule par les rues sa charrette, il y a l’étoffe d’un philosophe et d’un diplomate. Son regard, au moment où vous l’abordez, a déjà pris votre mesure de pied en cap ; ses prix sont des jugements où votre fortune, votre nationalité, vos prétentions, vos habitudes, votre caractère, se trouvent compris. Il vous enlacera soit par la vanité, filet cosmopolite, soit par la pitié, la persuasion, l’éloquence, l’effronterie, la peur de ses quolibets, le besoin de son estime. Il fera pour un sou, libéralement, ce que font pour des francs, mais avec plus de banalité, les fournisseurs en habit noir, auxquels vous avez surtout affaire.

Quoi qu’il en soit des inconvénients de la capitale française, voici le proverbe qui a cours aux États-Unis : a Quand les bons Américains meurent, ils viennent revivre à Paris. »

Est-il rien de plus touchant, de plus énergique et de plus flatteur ! Mais, sentiment à part, ce mot nous semble, de la part d’un peuple biblique, hérétique terriblement. Quoi ! Paris substitué comme paradis au séjour des justes ! son tourbillon aux assoupissantes béatitudes ! ses spectacles à la contemplation du Saint des saints ! et les chants des divinités de l’Opéra aux éternels cantiques des bienheureux ! Qu’avez-vous fait de l’esprit chrétien, ô Américains de Paris !

N’allons pas trop loin, toutefois, sur l’autorité de ce proverbe, car si vous aviez le malheur de n’appartenir à aucune des communions religieuses dûment constituées, en ce siècle plein de foi, il faudrait vous garder très-soigneusement de révéler le fait dans aucun des salons de la société américaine. Soyez juif, surtout si vous êtes baron ; soyez mahométan : pour peu que vous fassiez partie du corps diplomatique, vous serez bien accueilli ; choisissez entre les mille sectes qui pullulent en dedans ou en dehors du protestantisme, il y en a de mieux portées les unes que les autres ; mais on ne fera pas d’objection à votre choix. Seulement, ayez un fétiche ; autrement, vous passeriez pour un personnage… non pas dangereux précisément ! — on n’a peur de rien en Amérique, — mais immoral peut-être, et, à coup sûr, inconvenant, ce qui est bien pis. Cette exigence, d’ailleurs, si elle est très-américaine, rentre dans les traits généraux qui distinguent l’espèce, du détroit de Magellan au détroit de Lancaster, et du cap de Bonne-Espérance au cap Sévéro. Elle tient à l’habitude humaine de confondre le mot avec la chose et de tenir pour dépourvus d’idéal ces vrais croyants qui, défiants d’eux-mêmes et confiants en l’inconnu » n’adorent pas sans retour ce qu’ils ont créé.