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hors sa richesse, tout lui vient de l’Europe : religion, langue, littérature, science, arts, souvenirs et le sang même qui rougit ses veines. On publie en Amérique énormément de livres et de journaux ; mais les classiques anglais et français, sans exclusion des auteurs modernes, composent le fond de toute bibliothèque sérieuse, et tous ceux qui, dans cette civilisation adolescente, constituent le monde lettré, ont les yeux tournés vers l’Orient. Londres et Paris enfin sont pour le Nouveau Monde ce que furent pour nous, à l’époque de la Renaissance, Rome et Athènes. Soit dit sans comparaison fataliste : si éclatants que soient les progrès de la jeune Amérique, si affligeants que soient nos reculs, nous croyons à des vitalités immortelles chez tous les peuples, et nous ne croyons pas au plan préconçu de l’histoire, ni à son plagiat éternel. Le droit individuel a, comme une hache, tranché le cercle théocratique, aristocratique et monarchique où la vieille Clio roulait son char, et les deux bouts écartés, retrouvant leur séve, vont désormais s’allongeant dans l’infini.

Quant aux familles établies à Paris pour l’éducation de leurs enfants, c’est la musique et la langue française qu’elles ont surtout en vue. Cependant, l’instruction des jeunes filles américaines est ou paraît fort complexe ; celle des garçons, beaucoup moins, car en général chacun d’eux, ayant sa fortune à faire lui-même, se jette de bonne heure dans le mouvement commercial. Mais la jeune fille, soit qu’elle se destine à l’enseignement, soit qu’elle travaille sans autre but que le développement et l’ornement de sa personne, se livre à des études que l’on traiterait chez nous de pédantesques. Ce sont elles, au rebours, qui apprennent le latin, l’algèbre, la géométrie. Elles aborderaient même, sans aucune frayeur, des sciences plus spéciales ; mais regardez-les et rassurez-vous : le soin de leur toilette n’en a pas souffert, et ces méchantes accusations de disgrâce, lancées contre les femmes érudites, tombent devant l’étalage de leur luxueuse frivolité. Voyez si les flots de soie, de gaze, de dentelle qui les entourent en sont moins abondants ; si les détails de leur mise témoignent d’une moindre science féminine, si l’ensemble a moins de fraîcheur ? Il serait plus difficile de reconnaître si l’érudition intérieure est de même force et quelle somme de capacité recouvrent les étiquettes du programme scolaire ; mais un fait incontestable et incontesté, effet en sens inverse de la même cause qui agit chez nous, c’est la supériorité de la femme sur l’homme dans le Nouveau Monde. Tandis qu’en général, dès l’âge de quatorze ans, le jeune Américain cesse toute étude pour entrer dans les bureaux de son père ou de quelque autre négociant et consacre toute son intelligence aux spéculations commerciales, la jeune fille poursuit ses études,