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parvenu le plus souvent, tient naturellement en haute estime l’illustration de la race. C’est à qui se vantera d’appartenir aux premiers fondateurs des colonies, et là-bas même on en est arrivé à rire de ces prétentions. La Virginie, colonisée par les gentilshommes cavaliers, partisans des Stuarts, est un des États où l’on ait le plus de prétentions à la noblesse ; aussi la phrase sacramentelle pour la présentation de tout Virginien est-elle : appartenant aux premières familles de l’État. — On n’a jamais vu les secondes, ajoute le dicton malin.

Quant aux titres nobiliaires, si vous en possédez, oublier-les moins encore, et soyez sûr qu’une fois déclarés, on n’oubliera jamais de vous les donner. Ces titres vous attireront de doux regards et jetteront leur poids dans la balance où l’on pèsera vos mérites, si vos vœux se portent jusqu au mariage près de ces blondes beautés, dont la plupart ont des dots californiennes ; car ces jeunes républicaines estiment qu’une couronne ducale sied à merveille sur des cheveux blonds et que le titre de comtesse est parure à compléter la toilette d’une élégante. Aussi se conclut-il à Paris nombre d’alliances entre la France d’autrefois et l’Amérique d’aujourd’hui. On parle même en ce moment d’une brillante union de ce genre qui, au grand scandale de la colonie, aurait été ménagée à la mode française par intermédiaire. Vous le voyez, si aristocrates qu’ils veulent paraître, ces braves Américains gardent encore de beaux préjugés. Ils ne comprennent pas qu’on se marie autrement que par soi-même, et à la suite d’une connaissance mutuelle.

Donc, nous disions, chroniqueur indiscret, que parmi ces belles robes traînantes de taffetas, de satin, de velours, qui remplissent au bois les calèches, émaillent nos boulevards et se déploient majestueusement dans les salons de la rue de Presbourg ou dans ceux des Tuileries, il en est un certain nombre, si fraîches soient-elles, qui viennent des sources jaillissantes du pays de l’huile. Peu importe, et si, comme il est tout naturel, la chose doit être assez mal vue en pays démocratique, à nos yeux, cela ne tache point. Nous voulons dire seulement que, dans le tourbillon commercial des banques de New-York, des districts houillers, des mines de l’Ouest ou des sources de Titusville, si l’on a fait quelque opération heureuse, quelque grand coup de filet, aussitôt le désir des young ladies s’enflamme ; il faut voir l’Europe et l’on part. C’est que, pour tout bon Américain, voir l’Europe est un désir plus ou moins accusé selon les circonstances, mais toujours latent. On affecte bien de la mépriser, cette vieille Europe ; mais elle n’en est pas moins le pays des aïeux, le chaînon qui relie ce nouveau peuple à la tradition humaine et, si riche soit-il d’avenir, il a, comme tout humain, besoin du passé. Hors sa liberté, en effets