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Un matin, ma mère était à sa place de prédilection, et paraissait plus triste que de coutume ; mes caresses et mes enfantines joies ne pouvaient parvenir à la distraire ; tout-à-coup on crie dans la rue un bulletin de la grande armée ; ma mère sonne pour demander qu’on fût le lui chercher ; et moi, empressée de courir au-devant de ses désirs, je me précipite et j’arrache des mains du domestique le fatal papier.

Ce bulletin annonçait une grande victoire payée du sang de bien des braves au nombre desquels on nommait mon père ; il venait d’être tué à la bataille de Plaisance. Trois jours après j’étais orpheline : ma mère, atteinte d’une fièvre inflammatoire, ne retrouva point la raison ; on ne me laissa point entrer dans sa chambre, et je ne la revis plus.

Le troisième matin le jour paraissait à peine, j’avais déjà pleuré bien des heures en demandant ma mère ; les domestiques dormaient, personne ne me surveillait ; il n’y avait plus que des indifférens dans la maison ; je me levai les pieds nus ; j’entrai dans la chambre de ma mère : quatre cierges brûlaient autour de son cercueil, près duquel un vieux prêtre priait seul. Il posa son doigt sur ses lèvres, me fit signe de me mettre à genoux ; j’obéis, et les mains jointes, les yeux alternativement fixés sur le portrait de mon père et sur le cercueil de ma mère, je répétai tous bas, avec effusion :