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Madame de Servière n’était point une personne d’un esprit supérieur, et son âme n’avait point assez d’élévation pour donner à son langage cette séduction qui embellirait la laideur même, mais elle possédait un grand usage du monde ; elle avait obtenu, la veille, un grand succès au cercle de l’empereur : il avait vanté lui-même son bon goût, sa magnificence. Elle possédait assez de tact pour deviner l’admiration muette de M. de Sernan, tout cela l’anima d’une grâce qui ne lui était pas habituelle, et elle fut charmante au déjeûner. Aussi le pauvre Ernest sortit d’auprès d’elle transporté d’amour et de désespoir, prêt, à chaque instant, à se jeter aux pieds de M. de Servière, et à lui avouer son amour pour sa femme, à lui jurer qu’il allait la fuir : premier et noble remords d’un cœur encore vierge à la trahison ; premier remords si vite oublié, et dont bientôt, soi-même, on tourne en ridicule le souvenir. Si pourtant Ernest l’eût écouté, peut-être là s’arrêtait sa vie passionnée, cette vie du cœur où il devait s’élancer sans mesure et sans réflexion ; mais il arriva de ce projet ce qu’il arrive presque toujours des projets raisonnables. Ernest cacha sa passion à tous les yeux, excepté à ceux de madame de Servière, et, quoiqu’il sentît que sa beauté prenait chaque jour plus d’empire sur lui, il n’eut plus le projet de prendre M. de Servière pour