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remplissent de larmes, et elle se demande encore : — Mon Dieu, qu’ai-je donc ?

Paulette partie avec la bonne, la jeune femme alla s’asseoir, toute pensive, dans le salon. Sur le canapé de velours bleu, cette harmonieuse figure, penchée, se détachait idéale ; et de la glace placée derrière elle, les autres glaces la répétaient à l’envi.

Par moments elle respirait fortement, comme oppressée ; elle regardait la pendule, puis le ciel. — N’aurons-nous pas de l’orage ? — se demandait-elle, et de temps en temps elle pressait de la main son cœur agité.

La pendule marquait deux heures à peine, quand un coup de sonnette fit tressaillir la jeune femme.

— Sans doute, ce M. de Saurres, pensa-t-elle en allant ouvrir.

Mais une exclamation étouffée de joie, de surprise et de terreur lui échappa. C’était Olivier.

Il entra vivement et referma la porte.

— Nous sommes bien seuls, vraiment ? demanda-t-il, et il la serra dans ses bras avec transport.

— Ah ! mon ami, lui dit-elle, quelle imprudence !

— Oui ; mais qu’importe ? Merci ! merci mille fois ! Oh ! que tu es bonne !

Par lettres, dans le lyrisme de sa passion, il l’avait tutoyée déjà. Et les angoisses de l’absence, et ces épanchements de l’âme que de loin rien n’arrête, avaient rendu profonde leur intimité.

Quand elle eut repris sa place dans le salon, il dit encore, en s’agenouillant devant elle :

— Oh merci ! Je voulais te voir ; il le fallait ! Je rêvais des choses impossibles, folles ! quand ta lettre m’est venue. Que je suis heureux !

— Ma lettre n’autorisait pas une telle imprudence. Olivier ! si mon mari, comme l’autre fois, revenait ! Je meurs de terreur.

— Ne m’as-tu pas écrit de venir à deux heures, que nous serions seuls ?

— Non ! non !

— Comment ! tu rêves, mon amour, j’ai ta lettre, la voici.

Elle reconnut la phrase écrite par elle-même, la veille, sous la dictée de son mari ; et les yeux pleins d’épouvante :

— Que veut dire cela, mon Dieu : Oh ! que va-t-il faire ! Je ne comprends pas ; mais j’ai peur ! Olivier, pars, je le veux, tout de suite, je t’en supplie, pars !

— Soit, s’écria-t-il, mais avec toi. Et moi aussi, je le crains pour toi cet homme, et je n’aurai ni bonheur ni sécurité que je ne t’aie arrachée à lui. Suis-moi ; viens, aujourd’hui même !

— Je vous l’ai dit, mon ami, c’est impossible.

— Alors, vous ne m’aimez pas. Vous ne comprenez pas que loin de vous la vie m’est insupportable. Je ne puis plus, je ne veux plus, non, souffrir ainsi. Non, vous ne n’aimez pas. Votre fille, toujours, qu’importe ? Que m’importe ma mère à moi ? Elles vivront sans nous. Quand on s’aime comme nous nous aimons, on est seul au monde, et le devoir, l’honneur, Dieu même, c’est l’amour !

Il l’enveloppait de ses bras et la pressait sur son cœur en parlant ainsi. Elle se taisait ; il crut qu’elle était vaincue, et se levant, il la prit par la main pour qu’elle se levât aussi :

— Va mettre ton chapeau ; je cours chercher une voiture, et nous serons libres, heureux !

— Olivier, dit-elle d’une voix faible, oh ! vous n’êtes pas généreux ! Ce n’est pas bien ! Vous êtes fort. On vous a fait connaitre le devoir, la justice ; on vous a donné la science et la réflexion. Moi, je suis restée ignorante et faible, vous voulez m’entrainer au mal. Je vous aime ! oui, oh oui ! je vous aime, Olivier ! mais je ne dois pas abandonner mon enfant.

Il resta muet un instant, debout devant elle, toujours assise sur le canapé. Tout à coup, il vit les traits de la jeune femme exprimer une vive terreur ; elle étendit le bras en avant, comme pour écarter quelque chose d’horrible. Un coup sec se fit entendre : les bras d’Emmy s’écartèrent ; sa tête se pencha sur sa poitrine, et un flot de sang rougit au-dessous du sein la mousseline blanche.

M. Talmant était debout au milieu du salon, un révolver à la main. Comme Olivier, revenu de sa stupeur, allait se précipiter sur lui, il l’ajusta et lui cassa l’épaule. Se dégageant alors facilement de l’étreinte du jeune homme, il sortit. Sur l’escalier, à la première personne qu’il rencontra, il dit :

— Je viens de venger mon honneur. J’ai tué ma femme dans les bras de son amant.

Il se rendit ensuite chez le commissaire de police le plus proche, et se constitua prisonnier.

Les personnes accourues sur le lieu de cette catastrophe y trouvèrent Olivier qui, fou de douleur, s’efforçait en vain, par les appels les plus tendres et les caresses les plus passionnées, de rappeler Emmy à la vie. Elle était morte. La balle avait frappé le cœur. Elle était là, dans sa fraîche toilette, maintenant toute souillée de sang, renversée comme une fleur que la faux vient de trancher et son front, son doux visage gardant encore une expression de pureté, qui du sein de la mort repoussait l’outrage.

Le lendemain je lisais ce fait-divers dans les journaux, entre une réclame de fête et le récit d’un vol. De tous ceux qui lurent, moi seul peut-être y pensai l’instant d’après. Ces tristes annales de la 3e page offrent cependant la mesure de la moralité de nos temps et mériteraient les méditations du philosophe.

Peut-être les temps et les peuples que nous appelons barbares auraient-ils des mépris à nous rendre à ce sujet ?

Pour moi, ce fait me frappa et me jeta en des réflexions profondes.

J’appris bientôt qu’Olivier Martel était le héros de cette triste histoire. Je le connaissais un peu et l’allai voir. Il n’avait à Paris d’autres amis que les Levert, et ne voulait point appeler sa mère. Je le soignai : c’est lui qui m’a tout raconté. Maintenant, il est guéri ; et bien triste encore. Il assure même qu’il ne sera jamais consolé. Le temps en décidera.

Absous par la loi et par ses juges, M. Talmant n’a subi qu’un mois de prison. Il avait renoué avec Léocadie. Mais elle vient de partir pour l’Amérique, avec un banquier de New-York, dont elle a fait la connaissance au Château des Fleurs. M. et Mme Denjot élèvent Paulette. Ils arrondissent magnifiquement sa dot et se proposent de la marier, aussitôt qu’elle aura seize ans.

André Léo.


MEMENTO


L’Entr’acte invoque les traités pour démentir la nouvelle que nous avions donnée des futures représentations, au Théâtre-Italien, du Domino noir et de l’Étoile du Nord. Nous ne chercherons pas à discuter ces traités, que M. Achille Denis doit connaitre mieux que nous, à cause de sa situation de secrétaire général du théâtre de l’Opéra-Comique. Mais nous pouvons assurer que le projet en question existe parfaitement, que M. Brandus ne l’ignore pas autant qu’on voudrait bien le dire, et qu’en admettant même que cet éditeur n’ait point le droit de disposer des œuvres musicales de Meyerbeer et d’Auber, il y a une liberté nouvelle, celle des théâtres, qui peut faire qu’en matière d’art et d’entreprise dramatique, chacun essaye du genre de son voisin, sans pour cela lui prendre son bien. Il n’est donc pas impossible que le projet se réalise. Ce sera, d’ailleurs, une expérience fort intéressante que de voir la Patti, non-seulement jouer le Domino noir et l’Étoile du Nord, mais aussi la Fille du régiment, trois opéra-comiques qu’elle interprète tous les ans à Londres avec beaucoup de succès.

- La poésie n’est pas morte en Angleterre ! Le professeur Masson, directeur du Macmilian’s Magasine, déclare que depuis la fondation de sa Revue il n’a pas reçu moins de 200,000 pièces de poésie écrites par différentes personnes…… et il n’y a que quatre ans que ladite Revue existe !!… Nous n’en avons pas encore reçu tout à fait autant au Nain jaune, depuis que nous avons ouvert nos colonnes aux brillants fils d’Apollon ; mais ça ne peut pas tarder à en venir là, ne fût-ce que pour rivaliser avec la perfide Albion.

— M. A. Vidal, auteur bordelais, vient d’écrire à la France pour démentir la nouvelle qu’avait donnée M. Polin de la réception de son drame en cinq actes, Malheur aux vainqueurs ! ou la France en 1815, par M. Marc Fournier, directeur du Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Sa pièce, dit-il, n’a été que remise à M. le directeur Fournier, mais rien n’est encore décidé quant à la réception.

- Lescari, le grand drame de MM. Bertazzi et Ferdinand Dugué, a été lu et distribué aux artistes du Théâtre de la Gaîté. L’impression faite par cette lecture a été très grande. La pièce a cinq actes et sept tableaux. C’est naturellement M. Dumaine, l’excellent directeur-acteur, qui jouera le principal rôle. Mlle Lia Félix, la dernière sœur de Rachel, est chargée du rôle d’Hélène Paléologue. Il y aura de superbes décors, notamment les jardins de Trébizonde et la place Saint-Laurent, à Gênes.

- M. Harmant, vient de faire lire et de distribuer en toute hâte aux artistes du Vaudeville le Gendre de la marquise, comédie en cinq actes, par M. Raymond Deslandes, l’un des derniers auteurs décorés.

Voici, d’après le Figaro-Programme, la distribution de la pièce :

Le marquis de Valmoise, MM. Parade.
Le comte d’Esparre, Munié.
Robert de Chatenay, Paul Deshayes.
Briston, Saint-Germain.
M. Rose, Grivot.
Le prince Conrad, Jouve.
Étienne de Rieulles, Angelo.
La marquise de Valmoise, Mlles Thèse.
Marguerite de Chatenay, Cellier.
Mme de Rieulles, Bianca.

- Le théâtre de la Porte-Saint-Martin a commencé hier les relâches pour les répétitions générales des Parisiens à Londres.

Bobino ne disparaîtra pas ! Il survivra aux mutilations que va subir le jardin dont il a pris le nom pour faire son titre officiel de Théâtre du Luxembourg. M. Gaspari en est toujours le directeur, et il va prochainement faire sa réouverture. La nouvelle salle que vient de faire construire ce même directeur dans l’ancien café du xixe siècle, s’ouvrira en même temps, et nous aurons Bobino-rive droite et Bobino-rive gauche.

— Un autre petit théâtre est en train de se transformer sur la rive gauche : c’est le théâtre Saint-Germain. On refait toute la salle, à l’intérieur, et sous l’enseigne de théâtre des Folies-Saint-Germain, il sera inauguré le 1er  octobre, par une pièce de M. Saint-Agnan Choler.

- Le théâtre des Folies-Dramatiques, au contraire, menace plus que jamais de se fermer. Par suite des opérations de la faillite, le syndic avait mis en vente le bail et le droit d’exploitation. C’est le 30 août que les enchères devaient avoir lieu, mais il ne s’en est présenté aucune, et faute d’acquéreurs l’adjudication a été indéfiniment ajournée.

— La faillite des Bouffes-Parisiens nous privera aussi pendant quelque temps des cascades musicales genre Offenbach. On parle cependant de M. Arsène Houssaye, comme magicien devant frapper de sa baguette magique les portes closes de cette boîte à surprises.

— Le pare d’Asnières était fermé, dimanche, quoique le temps fût beau et une splendide fête annoncée, dit le Soleil. Il nous avait semblé, à nous, qu’il ne faisait pas précisément très-beau, mais il se peut que notre confrère ait vu autrement que nous, et que l’administration d’Asnières ait eu ses raisons pour faire relâche.

- Le nouveau chevalier Ponson du Terrail ne connait plus d’obstacles ! il travaille - toujours d’après le Soleil. qui luit pour tout le monde - à un opéra pour la sœur de l’Adelina Patti, Mlle Carlotta Patti, un rossignol d’un nouveau genre. Le personnage principal serait Mlle de La Vallière. Eh bien ! et la musique !!… Aussi de M. du Terrail ! Ce serait complet.

- L’illustre premier ministre prussien, M. le comte de Bismark, vient de recevoir la consécration de sa juste célébrité. Sa statue, en cire, vient d’être placée dans une des salles du musée Tussaud, à Londres, non loin de Louis XVI et de Napoléon 1er .

- Mlle Déjazet est actuellement en représentation à Douai, où elle a interprété, avec succès, les Premières armes de Richelieu.

- Les graves Madrilènes eux-mêmes veulent avoir leur Offenbach ? Voici un théâtre des Bouffes qui va s’ouvrir