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présenté chez elle, on lui avait dit qu’elle était absente ; il n’avait pu la voir. Les demoiselles de magasin l’accueillaient d’un air maussade et l’une d’elles maintenant travaillait derrière la porte, comme si elle eut fait le guet. Gervais essaya bien de pénétrer dans l’arrière-boutique ; mais un verrou l’avait averti de ne pas aller plus loin, à moins d’esclandre public. Il devina la main des Denjot dans l’affaire, et dans son âme la haine se mêla aux regrets.

Il aimait cette maîtresse : il la lui fallait ! Cette femme avait pour lui des attraits que n’avait nulle autre. Depuis près de deux ans, il n’en était point lassé ; la perdre maintenant, malgré lui, exaltait son orgueil jusqu’à la rage et son amour jusqu’à la folie. Sa femme était la cause de tout cela : il la haïssait. De plus, depuis le jour où il l’avait trouvée en tête à tête avec M. Martel, il avait contre de vifs soupçons. Irrité de tous côtés, tiraillé en deux sens contraires, ne pouvant ni garder Emmy à vue, ni l’empêcher absolument de sortir, il avait pris le parti de la faire espionner par sa domestique.

C’était une de ces bonnes de passage, dont la vénération s’applique au culte d’un seul dieu, l’argent, vénération qui n’exclut point la tendresse. Elle prit sans façons les deux pièces d’or que lui présentait son maître, et promit « de rendre compte de tout à Monsieur, comme c’était son devoir. »

André Léo.

(La suite au prochain numéro).



MÉMENTO

Notre confrère Édouard Hervé, le brillant orateur de la salle Scribe, le vigoureux polémiste du Courrier du Dimanche, écrit en ce moment une Histoire des idées libérales en Angleterre.

— Le procès en séparation que devaient plaider M. Castelmary et la charmante Marie Saks, nous ne voulons pas de Sass — et que regrettaient tant leurs nombreux amis, n’aura pas lieu.

— Les obsèques de Roger de Beauvoir ont été célébrées mardi, à l’église Sainte-Marie des Batignolles. L’assistance était nombreuse. Le deuil était conduit par les deux fils du défunt. Les cordons du poêle étaient tenus par MM. Arsène Houssaye, Albéric Second, Emmanuel Gonzalès et de Forges. Au Père-Lachaise, M. Albéric Second a prononcé un discours comme ami du défunt et au nom de la Société des gens de lettres.

— Villaret, le ténor de l’opéra, est en procès avec M. Brun, son ancien professeur, directeur de l’Orphéon avignonnais.

M. Brun réclame 14,000 fr. au ténor et le ténor en offre 2,000 à M. Brun. La différence est trop grande pour qu’un arrangement amiable puisse intervenir.

On sait que l’engagement de Villaret à l’Académie Impériale vient d’être renouvelé dans des conditions excellentes.

— Grand mouvement dans les théâtres.

D’ici samedi nous aurons : la réouverture de l’Odéon, première représentation du Maître de la Maison. — La première représentation du Nouveau Cid au Vaudeville. — La première représentation de la Nouvelle Rosine au Gymnase. — La réouverture des Délassements-Comiques et première représentation d’une féerie : Riedin-Riedon. — Plusieurs pièces nouvelles aux Folies-Marigny. — Au théâtre du Prince impérial première représentation d’un vaudeville militaire. Artilleurs du grand et du petit format, à vos pièces !

M. Édouard Lemoine annonce dans l’Indépendance belge qu’après la pièce de M. Sardou : Nos bons Paysans, on aura à ce théâtre cinq actes de M. Amédée Achard et quatre de M. Alexandre Dumas fils, quatre actes non tirés de l’Affaire Clémenceau.

— Après Jean le Poste, le théâtre de la Gaité donnera une grande pièce de MM. Anicet Bourgois et Ernest Blum pour la rentrée de Paulin Ménier.

— On lit dans le Progrès de Lyon :

« Mlle Carlotta Patti vient avoir un grand succès au concert de la Société philharmonique à Boulogne. Quelques journaux de Paris étaient représentés à cette fête musicale : les Débats par M. d’Ortigue, et la Liberté par M. de Gaspérini.

On assure que la cantatrice, sœur de Mlle Adelina Patti, cordialement applaudie à Boulogne, fera bientôt son apparition dans le monde musical parisien qu’elle n’avait jamais osé aborder.

On parle même d’un opéra où Mlle Carlotta Patti jouerait le principal rôle.

Cette jeune actrice est boiteuse, et cette intimité l’a empêchée jusqu’ici de se hasarder sur une scène quelconque.

Dumas, l’intrépide Dumas, veut se servir de cette imperfection, qui, cette fois, ainsi que jadis à la cour de Louis XIV, n’est qu’un attrait de plus, et il compose en ce moment pour elle un opéra qui aurait nom : Mademoiselle de la Vallière, et dont la musique sera, dit-on, confiée à M. de Flotow. »

— Une toile d’Ary Scheffer, sauvée par miracle en 1848, au château de Saint-Cloud, vient d’être retrouvée parmi les toiles roulés qui encombrent les magasins du Louvre.

— À Birmingham, le machiniste d’un café chantant a égorgé sa femme sur la scène et sous les yeux les spectateurs. On ignore les motifs de cet assassinat.

— L’Opéra-Comique a repris Haydée avec Achard et va reprendre la Servante maîtresse avec Galli Marié. Samedi prochain, rentrée de Marie Cabel dans la Fille du Régiment.

— Désiré, l’ex-Jupiter des Bouffes-parisiens, est engagé au Palais-Royal.

— À Manchester il y a eu une exécution capitale. Il y avait soixante-huit ans que cette ville n’avait eu un semblable spectacle. Aussi l’enthousiasme des spectateurs est-il allé jusqu’au délire. La représentation du drame a obtenu un succès immense. Le bourreau a été accueilli par la chanson nationale que voici, entonnée par quarante mille bouches :


      Glory, glory, hallelujah !
      England is a happy land,
      We are all unity,
      And Beetebud defy,
  And we’ll join the hallelujah band !

C’est-à-dire :

      Gloire, gloire, alleluia !
      L’Angleterre est un heureux pays ;
      Nous sommes tous unis,
      Nous défions Belzebuth,
  Et nous joindrons la bande de l’alleluia !

En apprenant ces détails, John Bull s’est écrié :

— Décidément l’Angleterre est le premier pays du monde !

— Nous trouvons dans la Salle à Manger — une concurrence à la Liberté — un menu en vers dont voici des extraits :

    Le premier mets que l’on vous sert
    Est un potage à la Colbert
    Qui, pour peu que cela vous plaise,
    Sera suivi d’un frais turbot
    Auquel nous donnerons assaut.
    Aidés d’une sauce hollandaise.
    — Puis viendra le filet de bœuf
    Dont on mange gros comme un œuf ;
    Il est pas servi sans la truffe
    Qu’aimait ce bon monsieur Tartuffe.
   — Suivront des filets de perdreau
    Sur du gibier mis en purée,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


    — Pour légumes des artichauds
    Avec des petits pois nouveaux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


    — Pour entrensets, croûte au madère,
    Et pour finir une plombière.

    

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


    — Puis on servira, pour entrées,
    Les fraîches truites saumonées.
        Etc., etc.

— Sous le titre de Néfida, Mme Daniel Stern publie, à la librairie Michel Lévy, un très intéressant volume où brille à la fois son talent de romancier et d’écrivain.

— Parmi les volumes de poésies récemment publiées, il faut citer :

Sauvagerie, petits poèmes et sonnets, par M. Edmond Thiaudière (Librairie centrale). Facture inégale, mais verdeur et originalité : une série d’impressions rapidement jetées sur la page, avec l’entrain et parfois la vigueur de l’eau-forte.

Les Printemps de cœur, par M. Eugène Vermeseh. Esprit, chaleur et tendresse. C’est le livre d’un amoureux, qui manie l’hyperbole avec la sûreté d’un vieux cavalier montant un dangereux étalon.

Brunes et blondes, par M. Charles Diguet. Belle langue, chargée de sensualités qui font rêver.

— Le théâtre Déjazet fait décidément sa réouverture le 1er septembre par la revue l’Événement. Le rôle de Cornaline est tenu par une débutante, Mme Léonie Touret. Nous ne dirons rien d’un talent qui s’ignore. Tout ce que nous savons c’est que Mme Léonie Touret est une jolie femme, et qu’elle est intelligente : avec cela et un peu de travail, une femme va loin. Donc ! bonne chance, Mme Léonie !

M. Pani Perret, vient de faire paraître à la librairie Michel Lévy un nouveau roman intitulé les Roueries de Colombe.

— Les mêmes éditeurs mettent en vente les Journées de Titus, recueil des plus amusants articles publiés par Méry aux diverses époques de sa vie.

M. Bagier prépare d’étranges surprises aux habitués du Théâtre-Italien. Ce n’est point de l’engagement de Mlle La Grua ni de celui de Mlle Urban que je veux parler, mais d’une nouveauté plus étrange encore : le répertoire de l’Opéra-Comique transporté dans la salle Ventadour, en vertu de la liberté des théâtres !…

En croirai-je mes oreilles !

Oui, un traité vient d’être conclu avec l’éditeur de musique Brandus, aux termes duquel la Patti donnera 10 représentations du Domino noir et autant de l’Étoile du Nord à la salle Ventadour.

— Le Cirque de l’impératrice a renouvelée en partie son affiche. Il nous montre maintenant une chienne savante, Blanche Munito, un singe écuyer et un équilibriste brésilien. Les exercices de Blanche Munito (un nom célèbre dans l’histoire des chiens savants) perdent un peu d’intérêt dans la grande salle du Cirque. C’est un jeu de salon. Blanche Munito, petite chienne barbet au museau très fin, à la robe blanche avec les oreilles marron, est fort bien dressée, mais on ne lui a rien enseigné qui n’ait déjà été fait par tous les Munitos du passé. Le singe Jack a déjà paru au Cirque il y a deux ou trois ans. Il donne toujours une fort amusante parodie, des sauts d’écharpes, de banderolles et de tonneaux qui forment le fond insipide des représentations équestres. L’artiste brésilien jongle, debout sur un fil de soie gros comme le petit doigt. C’est un mélange de danse de corde et d’exercices d’équilibriste. Le public paraît y prendre plaisir, mais le jour où nous assistions à la représentation du Cirque, le véritable succès a été pour les sauts périlleux en avant et en arrière du jeune Ferroni, le frère de celui qui a péri si malheureusement le mois dernier, et pour les hercules à cheval, travail de première force exécuté par MM. Cooke et Fernando.

Michel Mortié.

LA BONNE NOUVELLE


Ce matin — je me suis réveillé au bruit des cloches : toutes les églises de Paris sonnaient le carillon.


Mon petit — lever — calme et souriant d’habitude — a été cruellement gâté par l’église de mon quartier, qui prenait part au concert.


Cependant, je ne m’en plains pas, une bonne nouvelle n’est jamais assez payée — même au prix d’un doux sommeil interrompu.


Aussitôt levé, j’ai voulu savoir quelle était la fête que cette bonne ville de Paris chantait si bruyamment dès l’aurore : — ma curiosité était extrême — le vacarme des cloches m’intriguait — ma migraine était au comble.


Brouillé depuis ma tendre enfance avec ce brave calendrier — que les locataires honnêtes ont en horreur : — fort ignorant en outre des dispositions religieuses du Concordat — et très peu renseigné — par surcroît de malheur — sur les dates de nos fêtes civiques — je me suis demandé pendant une heure — quelle pouvait être la cause de cette allégresse universelle.


Béni soit le journal qui le premier — est venu ce matin m’apporter la bonne nouvelle ! Je crois — Dieu me pardonne ! que J’ai béni ce matin cette exécrable institution que l’on appelle la presse !


Que voulez-vous ! l’esprit le plus fort a parfois des faiblesses ; ma curiosité, ma migraine, mon embarras — c’est le journal qui n’a guéri tout — donc qu’il soit loué !


Ce journal — j’ai hâte de vous le nominer — c’est la Gazette des Étrangers : la bonne nouvelle — annoncée