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de rire ; mais, tout de suite après, elle pleurait d’avoir ri. C’était en elle un combat perpétuel entre la douleur qui dédaigne les biens de la vie, et la jeunesse qui veut en jouir. Un rayon de soleil, les premières violettes, les modes du printemps, un concert, une promenade l’attiraient instinctivement ; mais ensuite elle s’obstinait à rester chez elle, assise, immobile pendant des heures, tenant à la main sa broderie qu’elle n’augmentait pas d’une fleur, et pleurant silencieusement.

Olivier Martel vit ces larmes ou les devina. Il aimait trop sincèrement pour songer à profiter du chagrin de la jeune femme ; mais il en fut si touché, si malheureux, et chercha si naïvement à l’égayer et à la distraire, que la vérité en ceci — comme toujours peut-être, — lui servit mieux que l’habileté. La tromperie n’a d’autre but que de remplacer par des fantômes les trésors absents ; les cœurs vides en ont seuls besoin. Emmy se sentit aimée. Dès lors, elle continua à se dire de temps en temps, avec de grands soupirs, qu’elle était bien malheureuse, tandis qu’au fond elle ne l’était plus.

Cette pauvre enfant, à vrai dire, n’avait pas aimé. Mariée par ses parents à un homme alors fort amoureux d’elle, elle s’était mise à aimer son mari, comme le font en pareil cas toutes les jeunes femmes, avec une spontanéité de décision qui fait certainement honneur à leur bonne volonté, mais plus encore à ce pouvoir surhumain qu’on appelle force des choses. Reconnaissance, devoir, intérêt, tous ces mobiles avaient créé l’illusion dans le cœur d’Emmy, et cette illusion-là peut durer toujours chez une honnête femme, quand son mari le veut bien. Mais enfin cet amour, brutalement imposé, que n’avaient point précédé des émotions plus hautes et plus chastes, il ne pouvait avoir de bien fortes racines. — Dans l’ordre moral aussi, la liberté seule est féconde et forte. Ce que nous avons nous-même choisi, seulement, devient nôtre.

Maintenant, elle sentait se réveiller en elle, sous le regard d’Olivier, toute une nichée d’émotions pures et charmantes, qui sans lui ne seraient jamais écloses, et qui l’étourdissaient de leur chant divin. Elle redevenait jeune fille et recommençait son printemps. Elle se sentait vivre dans un autre avec délices. Tous les mouvements du cœur d’Olivier, qu’elle percevait par une vue nouvelle, étaient les siens ou le devenaient. Elle vivait double, plus encore peut-être, car l’amour a le don de tout agrandir, et les âmes où il entre, et le milieu qu’elles habitent. C’est le grand créateur de l’idéal, matière intarissable, dont l’homme forge sa vie, et c’est pourquoi, sans doute, — bien qu’à tâtons souvent et sans lumière, — l’homme cherche tant l’amour.

Il entrait, la saluait du regard plus que de la voix, s’asseyait timidement, et prenait tout de suite Paulette sur ses genoux. À ses premières visites, autrefois, il se plaçait très-loin de la jeune femme : c’était presque ridicule ; on eût dit qu’il avait peur. Mais il s’était rapproché de plus en plus, et il osait, enfin, s’asseoir près d’elle sur le canapé. Quelquefois, en causant de choses qui les émouvaient, il prenait la main d’Emmy et la gardait longtemps dans les siennes. Elle eût trouvé cela inconvenant d’un autre ; de la part d’Olivier cela lui semblait si naturel, et son désir allait si bien au-devant de ces hardiesses, qu’elle n’en remarquait pas l’importance ; elle craignait seulement que la fréquence des visites de M. Martel ne fût remarquée. Il venait presque tous les jours, de bonne heure. Une ou deux fois, il eut l’esprit de s’en aller avant la rentrée de M. Talmant, bien qu’il fût venu pour affaires, comme toujours. M. Talmant commençait à trouver extraordinaire que ce jeune client l’attendit au salon. Puis, les affaires n’aboutissaient pas. — M. Martel paraît fort empressé de placer son argent. Mais il ne se décide à rien, disait l’agent d’affaires un peu mécontent.

ANDRÉ LEO.

(La suite au prochain numéro).



MEMENTO


— Une rectification pour commencer.

Il y a une quinzaine de jours, j’annonçais, le premier de tous mes confrères, que Mmes Collet, née Revoil, et Olympe Audouard, feraient représenter cet hiver au Vaudeville ou au Gymnase une comédie intitulée les Héroïnes. Depuis, tous les journaux ont reproduit cette nouvelle, en citant plus ou moins le Nain Jaune ; mais seulement le journal la France, croyant être agréable au Messager des théâtres, dit que c’est cette dernière feuille qui a eu, la première de toutes, la nouvelle en question.

Eh bien, mon cher confrère, je ne désire point que le Messager des théâtres soit accusé d’une erreur qui me revient, puisque c’est moi qui ai annoncé le premier cette nouvelle. Les Héroïnes, comédie en cinq actes, ne sont pas de Mmes Collet, née Revoil et Olympe Audouard. Cette pièce qui sera jouée l’hiver prochain à l’Odéon, est de :

MM. Adolphe Belot, Clairville et Villiam Busnach.

— Dimanche, à midi, a eu lieu, dans le grand amphithéâtre du lycée Louis-le-Grand, la distribution des prix aux lauréats de l’École impériale et spéciale de dessin.

La cérémonie a été présidée par M. le comte de Nieuwerkerke, surintendant des beaux-arts, assisté de M. Lecoq de Boisbaudran, directeur adjoint, et de M. Jay, doyen des professeurs de l’École.

M. Rouillard, statuaire, professeur à l’école, a reçu de M. Nieuwerkerke la nouvelle de sa nomination de chevalier de la Légion d’honneur. Cette nouvelle a été accueillie par de vifs applaudissements.

M. Arsène Houssaye, inspecteur des musées de province. assistait également à cette solennité.

- Il y a longtemps qu’on n’a entendu parler de Richard Wagner, l’auteur du fameux Tannhauser. C’est donc le moment de le remettre sur le tapis.

On m’assure que le Grand-Opéra doit représenter, à l’ouverture de la nouvelle salle, un nouvel ouvrage de Richard Wagner auquel ce dernier travaillerait à présent. Cet opéra est intitulé : Fritz de Hohenstaufen.

— Les Employés d’Orléans, tel est le titre d’une brochure. que vient de faire paraitre M. Maurice Valette. Dans cette brochure, l’auteur examine avec talent et avec savoir la situation. des hommes qui sont employés au chemin de fer d’Orléans.

- Je l’avais prédit : Quoi ? Le fait suivant !

Le jour où nous avons commencé à publier dans ces colonnes le traité des remèdes contre le choléra par le docteur Poggioli, j’ai dit à mon cher directeur, M. Ganesco, que deux hommes en France lisaient avec avidité ces articles médicaux. Je voulais parler de MM. Adolphe d’Ennery et Gabriel Guillemot. Je suis sûr que l’auteur de la Grâce de Dieu en a emporté quelques exemplaires à Cabourg et qu’il ne les lit pas, mais qu’il les dissèque. Quant à M. Gabriel Guillemot, notre dire a été confirmé par un article qui a paru dans le Charivari et signé de notre ex-collaborateur. Dans cet article, M. Guillemot ne parle pas seulement du traité du docteur Poggloti, mais il me prouve qu’il en a appris la plus grande partie par cœur.

Cela devait être !

- M. Georges Maillard fait dans l’Événement la remarque suivante :

« La mort fait quelquefois des plaisanteries étranges : elle a réuni, dans un cimetière de la banlieue de Paris, trois défunts qui dorment côte à côte et se nomment : le premier, Chausson ; le deuxième, Soulier ; le troisième, Sabaux.

- On parle, et nous enregistrons ce bruit sous toutes réserves, d’une affaire des plus dramatiques qui se serait passée la semaine dernière dans le boudoir d’une des plus jolies actrices de Paris.

M. X…, fils d’un de nos plus riches propriétaires, avait fait depuis longtemps la conquête de Mlle Z… artiste du théâtre de X…

Dans les commencements, Mlle Z… faisait preuve de beaucoup d’affection pour son amant, qui, de son côté, voulait prouver à sa maîtresse un amour échevelé en se pliant à toutes ses volontés et en obéissant à tous ses caprices.

Cette lune de miel dura pendant sept mois, et, au bout de ce temps, M. X… se trouvait avoir dépensé en toutes sortes de cadeaux la somme totale de 300,000 francs. Le père s’aperçut des folles dépenses de son fils et intervint dans cette liaison.

Il prouva à son fils combien il plaçait mal son affection et combien sa maîtresse se moquait de lui. Rien ne pouvait y faire. M. X… retournait toujours chez sa belle, quand mardi de la semaine passée il entre comme d’habitude dans le boudoir de Mlle Z… et s’y trouve face à face avec son père. De là de grandes explications entre les deux hommes et qui furent très-mal reçues par le fils. Enfin, bref, l’explication s’anima tellement que M. X… se jeta sur son père et lui donna trois coups dans la poitrine avec un couteau-poignard. La police intervint et arrêta M. X… qui fut conduit en lieu de sûreté.

— Cet hiver, nous aurons une nouvelle comédie en deux actes, due à la plume d’Alexandre Dumas père. Cette pièce portera le titre de : La Dernière des Chanoinesses.

- Un événement bien terrible est venu attrister la fin de la journée du 15 août. Le feu d’artifice, qui, cette année et vu les travaux du Champ-de-Mars, s’est tiré sur le pont des Invalides, avait réuni une foule considérable sur le pont de la Concorde et les quais environnants. Que s’est-il passé en cet endroit qui ait pu causer le désastre qui nous occupe ? On l’ignore encore. Toujours est-il qu’une affreuse mêlée s’est produite sur ce pont et que, dans cette mêlée, huit personnes ont été tuées et quarante plus ou moins gravement blessées. L’affluence était si grande, qu’à l’autre bout de la place de la Concorde on ignorait complétement le drame horrible qui s’accomplissait à quelques pas. Pendant toute la journée d’hier une foule nombreuse a stationné aux alentours de la Morgue où ont été transportées les victimes de ce désastre.

Michel Morjé.

AU HASARD


D’aucuns prétendent dans les gazettes que le soleil se lève exprès pour eux tous les matins.


Soit : j’ai toujours eu en horreur cette sotte petite vertu que l’on appelle la modestie : laissons les dire.


Quant à moi (parlons-en un peu-pourquoi pas ?) j’avoue que je n’ai pas à mon service le moindre petit astre du firmament, et j’ajoute que le dix-neuvième siècle — tout bonhomme qu’il est — n’a jamais non plus été ma propriété particulière…

On n’est pas plus déshérité que moi, comme vous voyez — mais je suis bon enfant et j’en ris.


Il y a cependant quelque chose qui me révolte dans le partage tant soit peu injuste et cruel des biens de ce monde ; tenez ! le croiriez-vous ? en plein 1866 et par le temps des lorgnons qui court - je n’ai pas pu attrapper - même en dépit de tous mes efforts — le plus faible degré de myopie ! C’est trois fois désespérant !


Mille fois — pour me venger de cette odieuse injustice et pour railler le sort, j’ai voulu devenir jockey, à l’instar de la plupart de mes chers concitoyens.

Hélas ! je voulais racheter à tout prix l’imperfection révoltante de ma vue trop parfaite !


Bien m’en a pris de mon orgueil démocratique ! Mon pauvre corps - roulant chaque fois par terre - et cela devant des témoins, — n’est plus bon aujourd’hui qu’à l’entorse et au persiflage.


Décidément, je ne suis pas un bon citoyen.


Et maintenant que vous savez qui je suis - parlons un peu des autres - cela vaudra toujours mieux.


On a sérieusement annoncé de New-York la pose — à travers l’Océan — d’un long méchant câble qui doit mettre en communication immédiate et directe l’Europe et l’Amérique…


La belle affaire ! comme si la chose pouvait nous intéresser - nous autres Parisiens — en quoi que ce soit !


Le câble ! et puis après — quoi !

Heureusement que les feuilles publiques de Paris étaient là pour nous venger : elles ont toutes gardé — à l’endroit du câble un silence aussi digne que mérité !


Il faut être par trop yankee, en vérité, pour donner de gaieté de cœur dans une pareille méprise !


Quel est donc l’intérêt, je vous le demande, que ce câble