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LAUSANNE À TRAVERS LES ÂGES

contribua à décider le Directoire à commettre, en dehors de nos frontières, des actes violents qui devaient lui en procurer. Il résolut de renverser les gouvernements aristocratiques des Cantons suisses et de mettre la main sur leurs caisses[1]. »

Les événements qui suivirent sont bien connus. Deux corps d’armée français, l’un venant de Lausanne, l’autre de Soleure, se dirigent sur Berne et s’en rendent maîtres, le 5 mars, après les combats de la Neueneck, de Laupen, de Fraubrunnen, du Grauholz et du Breitenfeld, où les Bernois combattirent avec leur vaillance accoutumée. Un gouvernement provisoire prit possession du pouvoir.

Les extorsions de Ménard produisirent un très fâcheux effet dans le pays de Vaud. Les Français n’en furent pas moins bien reçus à Lausanne, car l’on ne rendait pas la nation française responsable de la conduite de ses chefs. L’enthousiasme était général. D’une correspondance privée[2], nous extrayons les passages suivants, qui donnent bien la note de la situation : « La révolution a fait un bien énorme au citoyen Wolf (c’est ainsi qu’il se fait appeler) ; avant cela, il marchait avec peine, courbé, un bâton le soutenant ; on le croyait presque mourant ; le flambeau de la liberté paraissant, voilà mon homme qui se redresse, jette son bâton, endosse l’uniforme, se ceint d’un grand sabre, se coiffe d’un chapeau à la mortdiable et court au château congédier le bailli suivi d’une trentaine de soldats ; il est resté vingt-quatre heures de suite à son poste ; on l’a fait lieutenant, puis capitaine, il est parti avec sa compagnie du côté d’Yverdon. Sa femme lui a envoyé un exprès pour lui annoncer la mort de son père ; l’amour de la gloire l’a retenu, quoique la paix soit faite. La révolution a fait aussi du bien à la santé de ta mère ; cela lui a fouetté le sang ; étant occupée de choses majeures, elle a moins senti ses petits maux. Elle a eu chez elle des soldats et des dragons, dont elle fut très contente ; elle leur cause la moitié de la journée ; elle a pris avec eux l’habitude d’un peu jurer ; nous espérons que cela lui passera. » Mais la révolution eut, au point de vue économique, des conséquences néfastes. Nous lisons dans le même recueil de lettres, à la date du 29 janvier : « Notre charmante révolution a fait en aller tous les étrangers ; ils n’aiment pas la liberté ; ils la fuient pour aller chercher le despotisme, qu’ils aiment beaucoup mieux. Des quinze banquiers que nous avions à Lausanne, il n’en reste plus que quatre ou cinq. Tous les autres sont partis. Le commerce est anéanti. Le numéraire disparaît, et l’on ne pense plus qu’aux objets de première nécessité. » Au surplus, le séjour de près d’un mois que les troupes françaises firent à Lausanne y laissa généralement de bons souvenirs. Les patriotes donnèrent aux officiers un bal à l’hôtel de ville, et l’état-major à son tour en donna deux dans la maison Steiner (Beau-Séjour), où habitait le général Brune.

  1. Histoire de France, tome III, Paris, 2e édit. 1878-86, p. 6.
  2. F. Bugnion à son neveu C. de Constant.