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LAUSANNE À TRAVERS LES ÂGES

Pendant la nuit du 25 au 26 janvier, l’Assemblée provisoire, sous la présidence de Maurice Glayre, prit une série de résolutions, remarquables par leur sagesse : elle congédie les baillis ; elle enjoint aux receveurs de continuer la gestion des intérêts rentrant dans leur office ; elle prend sous sa protection les propriétés privées des Bernois, et ordonne de respecter leurs personnes ; elle déclare les domaines de l’État de Berne propriété nationale ; elle ordonne aux pasteurs de retrancher de leurs prières publiques la mention de « LL. EE. nos souverains seigneurs » et de la remplacer par cette phrase : « Nous te prions en particulier pour notre chère Patrie et pour ceux qui la régissent, la défendent et la protègent. »

« C’est un spectacle vraiment beau, dit le bailli de Nyon, Bonstetten, que cette révolution qui commence si noblement et avec tant de calme. » La révolution vaudoise s’était, en effet, opérée pacifiquement, avec l’appui moral de la France, mais sans violence, sans qu’une goutte de sang eût été versée, sans qu’un soldat français eût mis le pied sur le sol vaudois.

Loin d’abdiquer cependant, Berne s’armait et s’apprêtait à faire rentrer par la force ses anciens sujets dans l’obéissance. Sur ces entrefaites se produisit, dans la nuit du 25 au 26 janvier, un événement fatal, qui motiva l’entrée des Français en Suisse. Le 25, le général Ménard avait envoyé son adjudant Autier auprès du général de Weiss, à Yverdon, pour le sommer de cesser ses préparatifs militaires. Ce parlementaire, accompagné des citoyens J.-D.-A. Perdonnet et de Trey, voyageait de nuit en berline, escorté par deux hussards français et deux dragons vaudois. Arrivé près de Thierrens, le postillon fut interpellé par une patrouille, que les paysans du village avaient organisée pour leur propre sûreté. Comme la berline et l’escorte s’étaient arrêtées, sans se donner la peine de s’expliquer, une voix cria de l’intérieur : « Hussards, avancez. » Ceux-ci se conformèrent à l’ordre reçu. Le grenadier vaudois ayant croisé la baïonnette, l’un des hussards lui fendit le nez d’un coup de sabre. Quoique blessé, le grenadier riposte par un coup de fusil qui étend le hussard raide mort. Une bagarre s’ensuit, dans laquelle l’autre hussard est également tué et un dragon blessé. L’Assemblée provisoire fit immédiatement ouvrir une enquête. Cette malheureuse affaire fut considérée, à tort, par le général Ménard comme un guet-apens. Il ne veut rien entendre et ne tient aucun compte des sentiments du peuple vaudois. L’incident de Thierrens lui fournit le prétexte qu’il cherche : le 27 janvier, il donne l’ordre à ses troupes d’entrer dans le Pays de Vaud. Il lance une proclamation des plus violentes. « Un attentat inouï vient d’être commis envers l’armée française, dit-il ; des satellites de l’oligarchie, des scélérats ont osé violer les droits les plus sacrés ; dans le sein même de la paix, ils n’ont pas su respecter les lois de la guerre ; ils ont attenté à la personne du citoyen Autier, mon envoyé auprès de l’homme qui se disait le général en chef des troupes du Pays de Vaud ; ils ont fait plus : les monstres ont assassiné les deux hussards qui lui servaient d’escorte. La Grande Nation ne transige jamais avec le crime, etc. »

D’autre part, Ménard informait l’Assemblée provisoire que, depuis trois mois