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rences devant deux mille personnes, sans la moindre émotion. Au théâtre, j’ai donné des pièces dont je voyais parfaitement certains défauts que je ne corrigeais point pour ne pas déplaire à tel directeur, qui attendait la première pour sa fin de mois, ou qui m’attendrissait en me disant qu’il avait fait beaucoup de dépenses. Je suis dupe en sachant que je suis dupé ! Je me promets d’ailleurs de ne plus l’être et je recommence. Je dois passer pour habile aux yeux des envieux et je suis tout le contraire de l’homme habile. N’osant pas aller dans les bureaux de journaux, je mettais, jadis, furtivement mes premiers articles à la poste. Aujourd’hui même, au Temps, où je suis de la maison, je n’entre jamais dans le cabinet de rédaction sans un certain trouble. J’ai l’air d’un mondain et je suis un sauvage. On me voit un peu partout, et je ne me sens à l’aise que la plume à la main, devant une table de travail. Ah ! le travail ! c’est là ma vie !

J’ai fait du roman et j’ai tâché de dégager de la stricte réalité humaine ce qu’elle a de consolant et de progressif. J’ai fait de l’histoire et j’y ai cherche, après mon maître, Michelet, l’âme même de la patrie. Je serais, au besoin, chauvin ; c’est un ridicule honorable. J’ai fait de la critique et j’ai toujours parlé des gens comme si je leur parlais, selon un bon mot qui est, je crois de Fiévée. J’ai fait du théâtre… Mais non, je veux et vais faire du théâtre, cela est plus juste, et j’espère là prendre mon rang.

J’ai fait de tout, enfin, me sentant attiré par tout ce qui parle à mes instincts d’historien ou d’artiste, allant aujourd’hui visiter les champs de bataille d’Alsace ou dorment nos morts, et demain courant au Salon ou la statue nouvelle et le tableau m’appellent. J’ai beaucoup voyagé, aimant à la fois l’action et la solitude, me reposant d’un labeur par un autre et chassant la fièvre du travail par la fièvre du chemin de fer. Au fond, je suis de ceux qui aspirent toute leur vie au repos, ayant en eux un paresseux éperonné, ne se reposant jamais