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plement. Ajoutez à cela des livres curieux, de rares tableaux, un enfant qui court sur le tapis, et la liberté de vivre donnée par le travail, voilà qui console de perdre beaucoup de ses cheveux, et quelque peu de ses illusions, tout en gardant, je crois, tous les amis de sa jeunesse, excepté ceux qui sont tombés.

Ah ! que de morts déjà, quand j’y songe !

Lorsque, à mes débuts, j’allais voir un homme à qui M. Sarcey s’obstine à me comparer, — croyant me railler peut-être et me faisant, en réalité, grand honneur, — Jules Janin me dit :

« Mon enfant, il faut songer à avoir un bel enterrement !… »

Au fond il était sérieux. Avoir un bel enterrement, c’est avoir, par son travail et la dignité de sa vie, mérité le regret de ceux qui demeurent ; c’est avoir été aimé et estimé ; c’est n’avoir jamais repoussé une main tendue, un espoir tremblant, n’avoir point fermé l’oreille à une plainte, la porte à un malheur, l’espérance à un début, la pitié à un vaincu.

Pauvre et bon Janin, qui ne fut rien qu’un grand homme de lettres à l’heure où tant de gens sont affamés de pouvoir, de plaisir, d’argent, de gloriole officielle, bibliophile Janin, Janin qui fut un sage, et dont le buste souriant est toujours là-bas, entouré de vigne vierge, posé dans la muraille du chalet de Passy, vous aviez raison, mon ancien, et je dirai après vous à ceux qui me demanderont un conseil :

— Il faut songer à une seule chose : avoir un bel enterrement !

Mais, en attendant, me dira-t-on, qui êtes-vous ? Moi ? je suis comme tout le monde, fait de contrastes. Je passe pour être l’homme le plus ordonné de la terre, et je serais bien embarrassé de trouver un livre, du premier coup, dans une bibliothèque encombrée. Je prends des notes et ne sais où je les range. Je suis timide au point de ne pas entrer dans un magasin où je vois un bibelot qui me tente et j’ai fait des confé-