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Les années cependant avaient marché, M. Renan avait multiplié les publications : articles dans le Journal des Débats, essais dans la Revue des Deux Mondes, mémoires à l’Institut. Il avait occupé une place importante à la Bibliothèque nationale, conquis un fauteuil à l’Académie des inscriptions. Nommé professeur au Collège de France, puis tenu à l’écart de sa chaire par suite des manifestations bruyantes qui avaient accueilli sa leçon d’ouverture, en 1863, il donna au public sa Vie de Jésus, et il atteignit du coup une réputation européenne. La magie mélodique de son style était cette fois mise au service des idées qui touchent aux fibres les plus vivantes de la conscience de l’homme moderne. À la négation moqueuse de Voltaire, il arrivait, substituant cette sorte de négation mélancolique et adoratrice qui est la sienne. Il couchait au tombeau le Crucifié, avec des larmes ineffablement tristes et douces, le pleurant d’avoir souffert et d’être mort en vain, et se pleurant lui-même de ne pas croire à la divinité de la plus noble victime qui ait jamais versé son sang. C’était, ce livre demeuré unique, un si troublant et délicieux mélange de vénération et d’analyse,