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naient soin ; mais Bon-Papa et Bonne-Maman y veillaient avec une grande bonté. Les petits négrillons avaient leur vaste enclos pourvu d’un bassin où ils prenaient leurs ébats à tous moments.

Bon-Papa était d’un caractère essentiellement juste et droit et veillait rigoureusement à ce que l’on n’abusât pas de ses esclaves. Il prit l’initiative de faire procéder par un prêtre, au mariage religieux des nègres et des négresses, et leur procura, le dimanche, l’assistance à la messe. Bonne-Maman, avec son bon cœur, cherchait toutes les occasions de les assister, et souvent elle les soignait elle-même dans leurs maladies. Aussi tous deux en étaient-ils aimés.

En 1809, lorsque la guerre éclata entre la France et l’Espagne, Bon-Papa courut de grands dangers au milieu de l’insurrection qui fut soulevée dans L’Île. Sa tête fut mise à prix, et les insurgés pillèrent, saccagèrent la propriété où il résidait, pénétrant dans l’habitation et menaçant Bonne-Maman, si elle ne divulguait pas la cachette de son mari. Elle passa un moment d’indicible angoisse ; mais heureusement Bon-Papa, secondé par quelques nègres dévoués, avait pu gagner les bois, où il demeura plusieurs jours caché. Ses fidèles noirs lui apportaient sa nourriture en lui donnant des nouvelles de sa femme et de ses enfants. La pauvre Bonne-Maman eut occasion de montrer son courage et sa générosité. Elle avait donné refuge à une famille de dames françaises qui étaient cachées dans l’habitation. Les insurgés voulaient les massacrer ; elle se mit intrépidement en travers de la porte et les défendit au péril de sa vie ; heureusement les nègres de la propriété, qu’elle avait su s’attacher par ses bienfaits, accoururent la délivrer et chassèrent les insurgés.

Pendant ces jours d’épreuve, tout fut préparé pour a fuite, le passage retenu sur un bateau en partance pour les États-Unis ; le fugitif, quittant les bois, put gagner une barque et eut le bonheur de serrer dans ses bras celle qui venait de lui montrer tant de dévouement. Les insurgés, furieux de ne pas le trouver, avaient fendu son portrait avec leur sabre. Les quatre petits garçons, dans leur indicible frayeur, s’étaient glissés sous un lit où l’on fut longtemps à pouvoir les retrouver ; on les crut un moment aux