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bravade conjuratrice, incapable qu’elle était d’imaginer la vie sans Farou, sans la présence de Farou, son murmure de messe, sa manière de fermer les portes d’un coup de pied pour punir un troisième acte rétif, sa fringale de femmes, ses heures de douceur pendant lesquelles elle lui murmurait, dans l’oreille, de tendres louanges de sauvagesse :

— Tu es doux… tu es doux comme une sauge… doux comme un ongle… Tu es doux comme un cerf couché…

Il la traitait si bien en favorite qu’elle n’allait pas lui chicaner le droit, commun à tous les despotes régnants, de semer quelques bâtards.

— Beau Farou ! Méchant Farou ! Intolérable Farou !

À mi-voix ou dans son cœur, elle le nommait sans commentaires, en fidèle à qui la litanie suffit. Elle avait essayé, les premières années, de servir son maître le jour aussi bien que la nuit. Mais Farou, impatient, découragea son zèle de secrétaire novice. Elle demeura à son poste d’amoureuse, fataliste, tournée à l’enfantillage, à la gourmandise et à la bonté, paresseuse comme celles que le poids d’un grave attachement fait lasses dès le milieu du jour.

Depuis qu’au “ hein ? ” triomphant de Farou, dans le fond d’une baignoire du Français, Fanny s’était mêlée de répondre (la générale d’Atalante finissait) : “ La scène entre Piérat et Clara Cellerier est décidément trop longue. Si tu faisais entrer quelqu’un au milieu, pour apporter le café ou une dépêche, la scène rebondirait beaucoup mieux après,